Sélection de la langue

Information archivée

L'information dont il est indiqué qu'elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n'est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n'a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Rapport de la commission d'examen

4.0 Critères de sûreté et d'acceptabilité

Dans cet examen, la Commission considérera les critères qui devront servir à évaluer la sûreté et l'acceptabilité de tout concept de gestion et de stockage à long terme des déchets.

Mandat

Dans le mandat, on demande à la Commission d'examiner les critères de gestion à long terme des déchets. Nous avons émis l'hypothèse qu'il s'agissait des critères qui s'appliquent non seulement au concept d'EACL, mais à tout concept de gestion des déchets de combustible nucléaire sur une longue période. 

4.1 Aperçu de la sûreté et de l'acceptabilité

La Commission s'est attaquée à deux questions importantes : comment définir la sûreté et l'acceptabilité et comment élaborer des critères applicables à un concept par opposition à un projet concret.

Il est possible de mesurer avec précision certains aspects de la sûreté, mais au sens le plus large ni la sûreté ni l'acceptabilité ne représentent une notion absolue ni mesurable. Les deux sont relatives et subjectives et les interprétations qu'on peut en faire varient selon les personnes et les circonstances. Ces considérations visent tant les membres de la Commission que le grand public. Précisons que les conceptions de la sûreté et de l'acceptabilité sont grandement influencées par l'idée qu'une personne ou un groupe a du risque. Comme il y a souvent peu de corrélation entre les perceptions d'un spécialiste et les perceptions du public en la matière, on ne s'étonnera pas que les vues divergent sur ce qui est sûr et acceptable.

EACL définit la sûreté en ces termes «ce qui satisfait aux critères, lignes directrices et normes de protection de la santé des êtres humains et du biote non humain» [Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, p. 76. Comme a pu l'entendre la Commission, les normes de sûreté ne peuvent être assimilées uniquement à une question technique, puisqu'elles visent, expressément ou non, un degré «acceptable» de risque ou de sûreté. Les organismes de réglementation fixent fréquemment les niveaux de risque dans une norme en les comparant aux niveaux de danger calculés pour des activités quotidiennes qu'en général le public tolère, souvent inconsciemment. Toutefois, si l'on considère que la perception et l'acceptation des risques sont propres à chaque contexte et varient amplement selon les circonstances, il se pourrait que des normes de sûreté arrêtées sans grande consultation ne traduisent pas le degré d'acceptation du public en général.

. . . en fait, le public juge de l'acceptabilité des risques, mais presque entièrement d'une manière implicite. . . Il n'y a pas de repères sociaux qui indiquent ce qui est acceptable. Tout dépend de la nature des risques. C'est là une conclusion tragique pour beaucoup de vieux évaluateurs de risques, ingénieurs de profession, qui pensaient pouvoir tout rationaliser et fixer une norme de risque commune et uniforme pour toute la société. Il n'y en aura jamais.

William Leiss, Université Queen's [William Leiss, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 15 mars 1996, p. 101-103.]

Ces dernières années, la notion de «perception des risques» a vu le jour. Elle implique que le citoyen ordinaire perçoit les risques différemment de l'expert et qu'il se laisse donc volontiers dominer par de vagues illusions et réactions psychologiques. On a très récemment compris que la perception des risques chez les gens procède de conceptions plus fondamentales ancrées dans l'expérience personnelle, la situation socioéconomique et les pratiques culturelles. Il est rare que ce qui devient étiqueté comme étant un «risque» se présente soudain à l'analyse ou à l'évaluation, il vient plutôt de l'expérience déjà vécue des risques.

Canadian Coalition for Ecology, Ethics and Religion [Canadian Coalition for Ecology, Ethics and Religion, A Report to the FEARO Panel on the Proposed Nuclear Fuel Waste Disposal Concept, Volume I: Key Questions (The Project Team for the Canadian Coalition for Ecology, Ethics and Religion (CCEER), PHPub.043), p. 26.]

Il est évident que la conception de la sûreté, du risque et de l'acceptabilité est colorée par les points de vue individuels ou collectifs. Ainsi, l'idée que certains ont de la sûreté pourrait correspondre à celle que d'autres ont de l'acceptabilité. Cependant, il semble universellement acquis que la sûreté tient une place essentielle dans la notion plus générale d'acceptabilité.

Conclusion de la Commission

Quelque primordiale qu'elle soit, la sûreté ne représente qu'un élément de l'acceptabilité.

La Commission a aussi eu des difficultés à élaborer des critères devant s'appliquer à un concept par opposition à un projet particulier à un site. Ceux à qui était familière la démarche progressive d'affinement et d'examen de plans techniques, de l'étape d'avant-projet aux derniers stades d'élaboration, étaient relativement à l'aise dans l'établissement de critères d'évaluation d'un concept général en l'absence des derniers détails. D'autres se sont attachés à la façon dont les collectivités évalueraient ce qu'elles percevraient comme une entreprise risquée. Ils ont examiné les effets possibles d'un tel projet sur les collectivités, l'équité de la répartition des risques et des avantages, le profit net pour la société et le degré d'intégration du processus de prise de décision participative. Ils ont donc jugé peu pratique d'arrêter des critères qui ne tiendraient pas compte de la façon dont un concept serait mis en œuvre, des personnes touchées et de la façon dont les effets se manifesteraient. Sur ce plan, les vues divergentes des membres de la Commission correspondent à tout l'éventail des vues exprimées par les participants à nos audiences publiques. 

4.2 Considérations éthiques et sociales

Presque toutes les décisions et les politiques d'ordre écologique sont fondées sur des valeurs éthiques et sociales en rivalité. Il est donc souhaitable d'expliciter les considérations et les hypothèses éthiques sous-jacentes aux critères d'évaluation d'un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire. Sinon on s'expose davantage à élaborer des politiques qui perpétueront l'iniquité des relations entre la génération actuelle et les générations à venir ou dégraderont les liens entre les êtres humains et l'écosystème [D'après Fen Osler Hampson et Judith Reppy, "Environmental Change and Social Justice," Environment, 39, 3 (avril 1997), p. 13-15. Les hypothèses éthiques et sociales peuvent influer sur les grandes décisions dans le domaine des politiques, qu'elles portent sur le degré de participation du public ou le rôle que sont appelées à jouer les collectivités d'accueil et les collectivités touchées dans le processus de sélection de site. Dans la mesure du possible, la Commission a explicité les considérations et les hypothèses éthiques et sociales dans les critères de sûreté et d'acceptabilité énumérés dans ce chapitre.

Conclusion de la Commission

Un cadre éthique et social est fondamental dans la délimitation du problème de gestion des déchets de combustible nucléaire et la découverte de solutions acceptables pour ce problème. 

4.3 Critères d'acceptabilité

Comme l'acceptabilité est une notion subjective, la conception de critères d'évaluation amène à se demander pour qui quelque chose doit être acceptable. Notre mandat exige de nous que, dans ce rapport, nous indiquions si le concept de stockage permanent d'EACL est sûr et acceptable. Cela implique que les membres de la Commission jugeront ce qui est acceptable, probablement par jugement personnel, tout comme d'après les vues exprimées par les participants à l'examen. Toutefois, le mandat stipule aussi que nos recommandations aideront les gouvernements à déterminer l'acceptabilité, d'où l'implication que les ministres prendront la décision finale en se fondant en partie sur la teneur du rapport. Nous croyons que, indépendamment de ce que pourront conclure les membres de la Commission ou les ministres, c'est le public canadien qui établira en définitive l'acceptabilité d'un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire, parce que celui-ci ne pourra être mis en œuvre qu'avec l'assentiment et la collaboration du public. Dans les questions de risque, le public demande plus de transparence, d'examen et de débats publics et de concertation dans les décisions. Sans l'acceptation du public, l'opposition sera vive à toute solution imposée. Il convient de noter qu'aucun pays n'a encore établi le consensus social nécessaire à l'aménagement d'une installation de stockage permanent des déchets hautement radioactifs.

. . . Je soutiens que, avant qu'un concept ne se révèle acceptable, il doit répondre à deux critères, c'est-à-dire traduire les valeurs de la population canadienne et être acceptable en ce sens, et être fort susceptible de produire un résultat que l'on considérera largement comme acceptable.

Norm Rubin, Energy Probe [Norm Rubin, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 21 novembre 1996, p. 172.]

La réalité pratique dans tout cela est que les déchets devront être transportés à un site et donc traverser une province d'accueil. Sans l'appui de la population de cette province et des autorités provinciales, la situation sera tout simplement invivable. De même, sans l'appui des premières nations pour le transport sur les territoires autochtones, la situation sera tout aussi impossible et inacceptable, même si la province veut bien accueillir le projet.

Peter Prebble,

Saskatchewan Environmental Society [Peter Prebble, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 27 mars 1996, p. 43.]

Conclusion de la Commission

On a besoin au Canada d'un vaste appui du public pour assurer l'acceptabilité d'un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire.

Forte de cette conclusion, la Commission a défini les critères d'évaluation de l'acceptabilité en fonction des éléments qui, semble-t-il, sont les plus importants pour juger l'acceptation d'un concept par le public en général. Répondre à ces critères, ce n'est pas nécessairement garantir une telle acceptation, mais la rendre plus probable. Il convient de noter que, même si l'on pouvait démontrer l'acceptation du public au stade des études, on devrait la démontrer à nouveau aux étapes de sélection du site et de conception avant que le concept ne puisse être mis en œuvre. À ces stades, l'acceptabilité devrait être déterminée du point de vue du grand public, des gouvernements et des organismes de réglementation, ainsi que de la collectivité d'accueil éventuelle et des autres collectivités directement touchées. Voici les six critères d'évaluation de l'acceptabilité du concept, suivis d'explications.

Pour être jugé acceptable, un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire doit :

  1. jouir d'un vaste appui du public;
  2. être sûr autant du point de vue technique que social;
  3. avoir été élaboré dans un cadre d'évaluation éthique et social;
  4. recevoir l'appui des peuples autochtones;
  5. être choisi après une comparaison avec d'autres options sur le plan des risques, des coûts et des avantages;
  6. être mis de l'avant par un promoteur stable et digne de confiance et surveillé par des organismes de réglementation également dignes de confiance.
a) Vaste appui du public

Compte tenu de ce qui précède, ce critère global représente le plus haut degré d'acceptabilité et les autres, des éléments plus détaillés de cette même acceptabilité.

Pour répondre à ce critère, un concept doit présenter les éléments suivants en tout ou en partie :

  • vaste appui éclairé d'un public canadien averti, et notamment des participants à l'examen public qui représentent des groupes techniques, sociaux, écologiques et autres, ainsi que des habitants du territoire d'implantation envisagé et des divers membres du public;
  • stratégie complète de participation, d'information et de communication publiques, depuis les premières études conceptuelles jusqu'à la mise en œuvre;
  • stratégie claire de prise de décisions qui définit les principaux points de la démarche décisionnelle, les décideurs et leurs domaines de compétence, le degré de participation du public et de la collectivité à chaque décision et un mécanisme de règlement des différends;
  • rôle joué par la population dans la définition de la participation du public et l'établissement de stratégies de décision.

Pour appliquer les principes de sûreté, de protection de l'environnement, de concertation dans les décisions, de transparence et d'équité dont l'EIE préconise l'adoption, il faudra faire l'éducation du public et bien l'informer. Il semblerait impérieux de beaucoup investir pour en venir à un dialogue utile avec le public et assurer une bonne préparation aux décisions politiques qui se prendront. Cela se fera à divers niveaux qui vont de l'échelon national (voire international) à l'échelon local.

Comité mixte de l'Académie canadienne du génie et de la Société royale du Canada [Comité mixte de l'Académie canadienne du génie et de la Société royale du Canada, Presentation to the Canadian Environmental Assessment Agency Panel Reviewing the Environmental Impact Statement Prepared by Atomic Energy of Canada Limited on the Management and Disposal of Canada's Nuclear Fuel Waste, Phase I: The Social and Ethical Issues of Waste Disposal(PHPub.031, mars 1996), p. 4.]

b) Sûreté autant du point de vue technique que social

Malgré la diversité des vues exprimées sur la sûreté à la section 4.1, tous s'accordent à dire que la sûreté tient une place essentielle dans l'acceptabilité. La section 4.4 énonce les critères d'évaluation de la sûreté d'un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire. En raison de la diversité des opinions, un concept doit aller dans le sens des interprétations tant techniques que sociales des critères pour être jugé largement acceptable.

La nécessité d'évacuer les déchets de combustible nucléaire des réacteurs canadiens de manière à ce qu'ils ne viennent pas menacer la génération actuelle ni les générations à venir est avant tout régie par des considérations de sûreté publique. Le Comité mixte fait donc prédominer la sûreté parmi les considérations tant sociales que techniques. . . . Comme il présente les points de vue des disciplines des sciences sociales, naturelles et appliquées et du génie, il insiste tout particulièrement sur une combinaison satisfaisante de ces angles complémentaires d'examen du problème de stockage permanent des déchets.

Comité mixte de l'Académie canadienne du génie et de la Société royale du Canada [Comité mixte de l'Académie canadienne du génie et de la Société royale du Canada, Presentation, Phase I, p. 1.]

c) Élaboration dans un cadre d'évaluation éthique et social approprié

En matière de jugements d'acceptabilité, les gens fondent leurs décisions sur des critères qui leur paraissent importants ou sur leurs propres valeurs éthiques et sociales. Quelle qu'en soit la définition, la sûreté semble une valeur universelle de la société, mais il en existe bien d'autres, comme nous l'avons vu à la section 2.3.1. Ainsi, pour évaluer l'acceptabilité générale du public d'un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire, on doit d'abord déterminer les valeurs qui dominent dans la société canadienne et ensuite mesurer le concept par rapport à celles-ci. La Commission a tenté d'intégrer aux critères énoncés dans ce chapitre sa façon de voir ces valeurs éthiques et sociales. Comme les valeurs évoluent dans le temps, il faut en réactualiser le cadre et, pour continuer à obtenir l'adhésion du public, remesurer le concept par rapport à lui et le rajuster au besoin. C'est dans un tel cadre éthique et social que doit s'élaborer le concept de gestion des déchets de combustible nucléaire au Canada.

Pour respecter ce critère, un concept doit notamment tenir compte des éléments suivants d'un cadre d'évaluation éthique et social :

  • justification de la nécessité d'agir et du choix du moment;
  • répartition équitable des coûts, des risques et des avantages entre les groupes, les régions et les générations;
  • avantage net pour la société en général et pour ceux directement touchés, en fonction de la protection de l'environnement;
  • coûts acceptables en fonction des risques et des avantages;
  • examen des questions d'intérêt public qui sont directement liées au cycle du combustible nucléaire, qu'il s'agisse de l'avenir de l'énergie nucléaire ou de l'importation de déchets de combustible nucléaire;
  • contribution des spécialistes des sciences sociales et appliquées;
  • principe du volontariat selon lequel une éventuelle collectivité d'accueil donne librement son assentiment sans subir de pressions économiques excessives.

Les enjeux sociaux et éthiques sont directement associés à la nature du concept de stockage provisoire et de stockage permanent en formations géologiques profondes. . . . Le Comité mixte insiste pour que l'on accorde une même attention à ces questions tant au stade de l'évaluation qu'à celui de la mise en œuvre. On doit montrer que ces questions ont été prises suffisamment en compte et le public doit aussi avoir l'assurance qu'il aura un rôle important à jouer lorsqu'on en discutera et que des jugements seront portés.

Comité mixte de l'Académie canadienne du génie et de la Société royale du Canada [Comité mixte de l'Académie canadienne du génie et de la Société royale du Canada, Presentation, Phase I, p. 4.]

d) Appui des peuples autochtones

À la section 2.4, nous avons signalé que tout concept de gestion des déchets de combustible nucléaire qui vise des territoires habités, revendiqués ou exploités par les peuples autochtones aura des conséquences négatives sur ceux-ci. Ainsi, on devrait élaborer un concept avec le concours des autochtones. Pour respecter les droits et les préoccupations de ces derniers, on doit les consulter en tout temps, des premières études conceptuelles à la mise en œuvre du concept. Le processus de participation utilisé doit convenir aux pratiques culturelles, aux valeurs et aux langues des autochtones. C'est pourquoi les peuples autochtones devraient eux-mêmes concevoir ce processus.

Veuillez comprendre que nos peuples ne s'opposent pas en soi à ce qu'on fasse du développement dans nos territoires traditionnels. Ce que nous disons, et nous l'avons déjà affirmé à plusieurs reprises, c'est que si on ne tient pas entièrement et équitablement compte de nos intérêts vitaux et de nos droits fondamentaux, nous nous opposerons à tout ce qui se fera jusqu'à ce que le traitement soit juste et équitable. Et si les premières nations parviennent à la conclusion que ce concept est trop incertain, inacceptable ou dénué de tout fondement ou encore qu'il nous est imposé par une déformation des principes du consentement éclairé et valable, nous nous y opposerons.

Grand chef Phil Fontaine,

Assemblée des chefs du Manitoba [Phil Fontaine, Presentation by Grand Chief Phil Fontaine, Assembly of Manitoba Chiefs, to the Nuclear Fuel Waste Management and Disposal Concept Environmental Assessment Panel (PH3Pub.217, 27 mars 1997), p. 6-7.]

e) Sélection après une comparaison avec d'autres options sur le plan des risques, des coûts et des avantages

Après avoir examiné les diverses méthodes possibles en matière de gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire, la Commission a conclu qu'un élément clé d'acceptabilité était la possibilité pour le public et les décideurs de faire des comparaisons éclairées et des choix avisés entre les solutions raisonnables qui s'offrent (voir la section 2.2.3 et l'annexe L). Il serait à tout le moins contraire à l'éthique de demander aux gens d'accepter une méthode sans les renseigner sur les autres options et les conséquences d'un refus du projet actuel. On doit se demander par rapport à quoi quelque chose est acceptable.

Il est nécessaire de mettre en parallèle les risques, les coûts et les avantages de diverses solutions pratiques pour trois grandes raisons. D'abord, comme certaines personnes refuseront toute proposition présentée sans mention de solutions de rechange, il suffira de leur offrir un choix pour rendre plus probable l'adhésion du public à une solution en particulier. En deuxième lieu, si l'on démontre qu'une option est nettement plus avantageuse sur le plan des risques, des coûts et des avantages, on rend aussi son acceptation plus probable. Enfin, en présentant une alternative, on disposera d'une solution de rechange au cas où le premier choix se révèle impossible à réaliser.

Autant que possible, on devrait associer à toute évaluation comparative la population qui risque d'être touchée par l'application de chaque solution dans le ou les territoires proposés d'implantation. Ces personnes établiront et aideront à soupeser les enjeux sociaux et écologiques et l'acceptabilité de chaque option. Pour déterminer quelles seront les personnes à consulter, on doit d'abord délimiter le mieux possible le ou les territoires d'implantation.

. . . la seule façon pour nous d'en venir à une décision crédible aux yeux de la société pour la gestion de ces déchets est de procéder à une comparaison des risques, exercice où l'on rapproche toutes les options techniquement crédibles dans un tableau comparatif des risques. Il s'agit alors de voir ce qui est meilleur ou pire par rapport aux divers critères, de faire une comparaison. C'est de cette façon que nous obtiendrons un résultat. Donc, je ne pense pas que vous ou toute commission puissiez répondre à la question de l'acceptabilité du concept de stockage en soi.

William Leiss, Université Queen's [William Leiss, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 15 mars 1996, p. 120.]

f) Recommandation par un promoteur stable et digne de confiance et surveillance par des autorités de réglementation également dignes de confiance

Avant de pouvoir accepter un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire, les gens doivent avoir confiance au promoteur et aux organismes de réglementation et pouvoir se fier aux processus employés pour élaborer et appliquer le concept. Celui-ci sera plus acceptable s'il est proposé par le promoteur qui entend le réaliser. Il importe, en outre, que le promoteur et l'organisme de réglementation assurent régulièrement une participation efficace du public. Ils doivent enfin se tenir hors de tout conflit d'intérêts, être transparents, sérieux, sensibles aux intérêts d'une grande diversité d'intervenants et guidés par un cadre de politique publique net.

. . . ce que nous avons ici, c'est le problème classique de gestion de risques de faible probabilité et de forte incidence. En ce qui concerne de tels risques, la question de la confiance du public dans ceux qui créent les risques et ceux qui les gèrent devient un des facteurs essentiels de l'acceptation publique des risques. Dans les études de perception et d'attitude à l'égard des risques chez les «non-spécialistes», on constate invariablement que le degré de confiance ou de méfiance envers ceux qui créent et gèrent les risques d'ordre technologique tient une grande place dans la volonté des gens d'accepter des risques.

Conrad Brunk, Université de Waterloo [Conrad Brunk, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 13 mars 1996, p. 99-100.]

4.4 Critères de sûreté

D'un point de vue tant technique que social, la sûreté qui est le deuxième critère d'acceptabilité donné à la section 4.3, constitue un aspect primordial de l'acceptabilité par le public d'un mode de gestion des déchets de combustible nucléaire. Ces points de vue sont pris en compte non seulement par la Commission et par ceux qui participent à l'examen, mais également par la société canadienne. On ne devrait pas y voir des vues rivales mais complémentaires, parce qu'on doit bien tenir compte des aspects tant techniques que sociaux si l'on entend faire largement accepter une méthode. Ces deux points de vue offrent de nombreuses similitudes, mais présentent également de subtiles différences. Voici les sept critères d'évaluation de la sûreté pour la Commission, suivis d'explications. Les deux points de vue ne sont pas évidents dans les critères mêmes, mais dans leur application, comme on le verra au prochain chapitre.

On considérera qu'un concept de gestion des déchets de combustible nucléaire est sûr si, tout bien soupesé, il :

  1. fait preuve de robustesse dans le respect des exigences réglementaires appropriées;
  2. est fondé sur des analyses approfondies de scénarios élaborés dans un contexte de participation;
  3. utilise des données réalistes, des modèles et des analogues naturels;
  4. fait appel à des données scientifiques solides et à des bonnes pratiques;
  5. fait preuve de souplesse;
  6. démontre sa faisabilité;
  7. fait l'objet d'un examen par les pairs et fait appel à des compétences internationales.

a) Robustesse dans le respect des exigences réglementaires appropriées

Par «robustesse» ou solidité, on entend la capacité d'un système à continuer à fonctionner d'une manière acceptable malgré des conditions imprévues et peut-être extrêmes. Ainsi, ce critère indique jusqu'à quel point le concept respecte ou dépasse les exigences réglementaires de protection de la santé humaine et du milieu naturel dans diverses conditions. La «robustesse» dont nous parlons est la capacité de résistance d'un système que lui confère principalement sa diversification comme dans un système biologique. En d'autres termes, le système ne tombe pas en panne en cas de défaillance imprévue d'un de ses éléments. Pour être diversifié, un système de gestion des déchets de combustible nucléaire doit faire raisonnablement appel à des mesures de défense en profondeur avec des barrières multiples, des éléments passifs et actifs de sûreté, des mesures d'atténuation et de bonnes pratiques industrielles.

La CCEA doit être convaincue, dans les limites restrictives d'une étude générale, que l'évacuation à l'intérieur d'un pluton constitue une méthode sûre, adéquate et réalisable pour la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire. Si l'évaluation du concept réussit à prouver que l'évacuation à l'intérieur d'un pluton peut satisfaire vraisemblablement aux exigences techniques qui touchent à la santé, la sûreté, la sécurité et la protection de l'environnement, la CCEA considérera ce concept comme acceptable.

Commission de contrôle de l'énergie atomique [69 Commission de contrôle de l'énergie atomique, texte de réglementation R - 71, p. 6.]

Ce critère fait également référence à l'à-propos des exigences réglementaires qui garantissent la sûreté interprétée d'un point de vue tant technique que social. Dans une optique sociale, les normes de réglementation doivent faire l'objet de processus de consultation qui mobilisent des groupes divers et tiennent compte de tous les facteurs techniques et sociaux pertinents; protéger les générations futures; exiger des analyses quantitatives englobant les périodes où les risques sont les plus importants; indiquer tous les résultats et les éléments d'incertitude.

À notre avis, la CCEA devrait fixer la forme des normes visant à protéger les êtres humains et l'environnement. Toutefois, le niveau où se situeront les normes est une question de politique publique et devrait faire l'objet d'un débat public systématique sur les éléments d'acceptabilité, après quoi on devrait fixer ces mêmes normes à un niveau dont on peut montrer la large acceptation par la population.

Canadian Coalition for Ecology, Ethics and Religion [Canadian Coalition for Ecology, Ethics and Religion, A Report to the FEARO Panel on the Proposed Nuclear Fuel Waste Disposal Concept, Volume I: Key Questions, p. 20.]

b) Analyses approfondies de scénarios élaborés dans un contexte de participation

Ce critère vise la diversité de conditions ou de scénarios pour lesquels on doit démontrer la «robustesse» du concept, ainsi que la façon d'établir et d'évaluer ces scénarios. La Commission est d'avis que le spécialiste et le profane doivent être sûrs que l'on a convenablement évalué toutes les conditions susceptibles d'influer nettement sur la sûreté à long terme du système et qu'on a soigneusement pris en compte tous les biais et les incertitudes. On doit notamment prévoir une autre consultation du public pour la négociation d'un ensemble convenu de «pires scénarios» à évaluer. On doit enfin démontrer que des mesures acceptables d'intervention d'urgence et d'atténuation peuvent être prises et le seront à l'égard de ces mêmes scénarios.

Un scénario dont les probabilités de réalisation sont faibles n'est à exclure que si l'on s'intéresse aux risques probables et moyens. Le public s'intéressera plutôt aux cas extrêmes, ou aux scénarios du pire.

Groupe d'examen scientifique [Groupe d'examen scientifique, Rapport du Groupe d'examen scientifique (1995), p. 89.]

Nous croyons que, si les intervenants étaient intimement associés à la démarche dès les premiers stades, un processus d'examen comme celui-ci s'en trouverait grandement facilité.

Ray Price, Groupe d'examen scientifique [Ray Price, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 19 novembre 1996, p. 120-121.]

c) Utilisation de données réalistes, de modèles et d'analogues naturels

La modélisation mathématique est le principal moyen de prévision du comportement à long terme d'un système de gestion des déchets de combustible nucléaire. On aura confiance dans ces données prévisionnelles dans la mesure où les données et les modèles représentent bien le système réel qu'ils visent à simuler. Les modèles doivent englober convenablement tous les aspects et les interactions d'importance dans les systèmes physico-biologiques à l'étude, tenir compte des biais et des incertitudes et, dans la mesure du possible, faire l'objet d'une vérification et d'une validation indépendantes. De plus, les données générales et celles particulières à un site doivent être fondées au point de vue scientifique. En dernière analyse, on doit recourir à des données et à des plans de conception particuliers à un site pour valider la sûreté du système.

À l'étape de l'évaluation du concept, lorsqu'un concept générique est évalué, si des observations complètes et réelles sur place ne sont pas disponibles, de simples calculs de la portée des impacts peuvent s'avérer beaucoup plus instructifs et fiables qu'une analyse probabiliste complexe et complète qui n'est pas basée sur des modèles appropriés ni étayée par des données réelles.

Groupe d'examen scientifique [Groupe d'examen scientifique, Une évaluation de l'Étude d'impact environnemental concernant le concept d'Énergie Atomique du Canada Limitée de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire du Canada. Addendum au rapport du Groupe d'examen scientifique (Hull : Agence canadienne d'évaluation environnementale, 16 septembre 1996), p. 13.]

d) Données scientifiques solides et bonnes pratiques

Un système de gestion des déchets de combustible nucléaire doit reposer sur des principes scientifiques établis, et notamment ceux de disciplines reconnues en sciences sociales, sur une technologie connue ou facilement réalisable et sur de saines pratiques techniques et industrielles en matière de sûreté et de protection de l'environnement. La documentation d'appui devrait notamment démontrer que :

  • les effets globaux sur la santé et l'environnement ne seraient pas pires que ceux qui découlent normalement de projets classiques à une échelle comparable, là où les meilleures techniques disponibles sont employées;
  • les techniques proposées ont donné des résultats sûrs et conformes aux règlements lorsqu'elles ont été mises en œuvre dans des projets de nature et d'importance semblables;
  • l'on optimiserait la manutention, le reconditionnement et le transfert des déchets de combustible nucléaire, ainsi que les distances de transport, pour réduire les risques;
  • les pratiques de gestion sont susceptibles de garantir le respect des normes de sûreté.

La conclusion du GES concernant les critères d'évaluation du concept de stockage des déchets de combustible nucléaire d'EACL est que le concept . . . respecte la bonne pratique de l'ingénierie. Parmi les qualités de la bonne pratique de l'ingénierie, mentionnons : la souplesse, la sensibilité à l'information et aux technologies nouvelles, la transparence, la robustesse et la rentabilité.

Groupe d'examen scientifique [Groupe d'examen scientifique, Rapport du Groupe d'examen scientifique (1995), p. 4.]

e) Souplesse

Pour être souple, un concept doit pouvoir s'adapter à de nouvelles données et les intégrer. Dans des travaux classiques de construction souterraine où il est impossible de connaître en détail le terrain devant soi avant de le mettre à nu, cette notion s'appelle «méthode d'observation», «stratégie de gestion adaptative» ou, plus familièrement encore, «méthode de conception pas à pas». Ce n'est pas là une abdication de responsabilités, mais une sage expression de l'humilité de la démarche. Cela peut aussi représenter une façon prudente et pragmatique d'aborder de grands travaux complexes de construction en surface.

Dans le cas d'un concept de gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire, les nouvelles données pourraient se rapporter non seulement aux caractéristiques de sites, mais aussi aux développements des sciences et des techniques ou à l'évolution des valeurs sociétales et communautaires, surtout à celles des générations futures qui mettront finalement le concept en œuvre. Ainsi, un aspect de la souplesse serait la capacité d'un concept de s'adapter aux desiderata de ces générations quant au juste équilibre à trouver entre la sûreté passive et un contrôle institutionnel actif. Ainsi, on pourrait concevoir le système pour qu'il garantisse un haut degré de sûreté passive après sa mise en oeuvre complète, tout en prévoyant des mesures efficaces de surveillance et de récupération des déchets.

Un autre aspect serait le caractère progressif de la mise en oeuvre possible d'un concept. Ainsi, des boucles de rétroaction doivent permettre de tenir compte de nouvelles données à chaque stade de la mise en oeuvre du concept, débutant par la formulation d'un concept. Ceci ne signifie pas que les modifications seront abondantes, aléatoires ou entièrement imprévues, mais tout simplement qu'il faut se donner la plus grande marge de manœuvre possible.

. . . le concept de stockage permanent ne devrait pas reposer simplement sur la prémisse suivante : dégager les générations futures de toute responsabilité en matière du traitement des déchets radioactifs, bien qu'il s'agisse nettement là d'une importante option. Le concept doit aussi être suffisamment souple ou «robuste» pour prévoir une surveillance permanente si les générations futures en décident ainsi ou encore une intervention active à la faveur de l'avancement technologique et économique.

L'Institut de chimie du Canada [L'institut de chimie du Canada, Assessment of Atomic Energy of Canada Limited's Environmental Impact Statement on the Concept for Disposal of Canada's Nuclear Fuel Waste (Ottawa : L'Institut de chimie du Canada, août 1995, Tec.005), p. i.]

f) Faisabilité du concept

Pour répondre à ce critère, un concept doit être fondé sur une technologie connue ou facilement réalisable et pouvoir respecter des contraintes précises liées aux critères de sélection d'un site, de même qu'à tout site réel. Il faudra aussi disposer de ressources humaines, technologiques, financières, matérielles et infrastructurelles suffisantes pour la mise en œuvre du concept. En ce qui a trait à la sélection d'un site, on pourrait en partie démontrer la faisabilité en indiquant qu'il est vraisemblable que des sites techniquement appropriés existent. La démonstration pourrait être encore plus évidente si l'on montrait que la combinaison de caractéristiques et de processus qui concourent à la sûreté existe réellement dans une diversité de sites possibles au Canada.

Il doit être évident que le concept retenu est techniquement faisable au moyen des techniques disponibles ou grâce à des développements qu'il est raisonnablement possible d'atteindre. Le concept sera évalué en se basant sur le fait qu'on peut ou qu'on ne peut raisonnablement s'attendre que les exigences de rendement stipulées par les organismes de réglementation soient satisfaites. Étant donné qu'il est possible de proposer, au stade de l'évaluation du concept, une solution en principe sûre mais difficile à réaliser, il faut démontrer la faisabilité technique du concept proposé.

Commission de contrôle de l'énergie atomique [Commission de contrôle de l'énergie atomique, texte de réglementation R-71, p. 13.]

Le critère du GES pour l'applicabilité du concept de stockage est qu'il soit réalisable facilement, avec une démonstration convaincante ou raisonnable qu'au moment de la mise en œuvre, la technologie et les pratiques de gestion seront telles que les travaux puissent être exécutés de façon satisfaisante à un prix que la société puisse supporter à ce moment.

Groupe d'examen scientifique [Groupe d'examen scientifique, Rapport du Groupe d'examen scientifique (1995), p. 4.]

g) Examen par les pairs et recours à des compétences internationales

Pour respecter ce critère, un concept doit intégrer les données des processus permanents et indépendants d'examen par les pairs sur le plan tant technique que social, et tenir compte de toute l'expérience internationale pertinente. 

4.5 Questions fondamentales

En nous reportant à ces critères de sûreté et d'acceptabilité, nous tenterons maintenant de répondre aux deux questions fondamentales de cet examen :

  • Le concept d'EACL répond-il en toute sûreté et acceptabilité aux besoins de la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire du Canada?
  • Quelles sont les mesures à prendre à l'avenir?