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Rapport de la commission d'examen

Annexe H - Examen des dangers des rayonnements

Nombreux ont été les participants qui ont dit être préoccupés par l'acceptabilité des estimations de risque établies par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR). D'après certains, les risques évalués par unité de dose (facteur de risque) avaient été de plus en plus grands dans l'histoire, et on devait s'attendre à ce que le phénomène se poursuive. Pour d'autres cependant, les estimations actuelles du risque étaient par trop prudentes et seraient bientôt assouplies.

Les participants se sont également dits inquiets de la composition de la CIPR décrite comme «une oligarchie qui se perpétue». Cet organisme institué par le Congrès international de radiologie en 1928 se composait au départ de radiologues d'expérience qui conseillaient leurs collègues moins expérimentés. Ce sont les membres actuels qui nomment au besoin de nouveaux membres en tenant compte de l'expérience pertinente acquise en recherche et des publications scientifiques. Aujourd'hui, la CIPR réunit des radiologues, des radiophysiciens et des radiobiologistes qui jouissent d'une vaste expérience en recherche sur les effets biologiques des rayonnements. Cet effectif permet à la CIPR de donner des orientations efficaces dans les questions scientifiques relatives aux dangers sur la santé d'une radioexposition. Cependant cela signifie également que cet organisme est peu à l'écoute des préoccupations d'une grande partie de la population qui ne s'y trouve pas directement représentée.

La Commission d'évaluation environnementale a reconnu la responsabilité qu'elle avait d'étudier tous les renseignements qui lui étaient soumis et d'indiquer clairement si, à son avis, les estimations de risque rendues publiques par la CIPR en 1991 (publication 60 de la CIPR) pouvaient servir de base solide à l'évaluation des risques radiologiques. Dans la présente annexe, nous passerons en revue les données que nous avons examinées et les conclusions tirées de cet examen.

La connaissance scientifique des dangers d'une exposition aux rayonnements ionisants a été acquise progressivement tout au long de ce siècle, souvent au détriment même des personnes exposées. La Commission sait que ce processus est permanent et que bien des questions demeurent encore sans solution.

Wilhelm Roentgen a découvert les rayons X en 1897 et peu après les hôpitaux ont commencé à les utiliser. On a vite signalé des lésions des tissus par exposition excessive aux rayonnements. À la fin du XIXe siècle, on a constaté que, dans les cas graves, ces lésions risquaient de dégénérer en affections malignes. Les premiers radiologues ont perdu pour la plupart des pouces ou d'autres doigts pour avoir tenu des porte-films pendant des expositions. Un grand nombre d'entre-eux ont trouvé la mort par suite d'affections malignes.

Des événements semblables se sont produits à moindre échelle après la découverte du radium par Pierre et Marie Curie. L'utilisation de cette matière comme implant pour le traitement des affections malignes s'est rapidement développée, mais ce n'est que plus tard qu'on a pleinement vu la nécessité de limiter tout maniement direct des sources de radium.

D'autres préoccupations sont apparues lorsque les expériences en laboratoire ont montré que l'exposition aux rayonnements ionisants pouvait avoir des effets mutagènes sur les mouches à fruits et peut-être sur d'autres animaux. Avant la Première Guerre mondiale, les sociétés radiologiques de plusieurs pays ont présenté des recommandations détaillées en vue de l'adoption de pratiques de protection contre les rayonnements. Par la suite, la CIPR a énoncé des recommandations plus officielles qui ont été constamment mises à jour jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale.

On avait donc une connaissance considérable et bien développée des risques dus aux rayonnements quand on a commencé à produire des armes atomiques aux États-Unis et au Canada. Nombre de médecins d'hôpitaux connaissant les dangers des rayonnements, et notamment ceux qui avaient de l'expérience dans la manipulation du radium, ont été recrutés par les responsables du Projet Manhattan. Ils ont mis au point des techniques de maîtrise et de traitement chimique des grandes quantités de substances radioactives provenant de réacteurs qui produisaient du plutonium. Ces scientifiques ont créé la profession de radioprotection et établi des méthodes sûres pour l'utilisation de matières premières à très grande échelle. Il a fallu bien des années pour que l'on dispose de données complètes sur les risques d'ingestion ou d'inhalation de tous ces nouveaux isotopes radioactifs artificiels. Il reste que les pratiques professionnelles conçues par les scientifiques responsables du Projet Manhattan ont réduit au minimum tout effet préjudiciable sur la santé des travailleurs nucléaires, si bien qu'on ne disposait guère de données utiles pour établir un lien numérique entre les expositions et le risque.

Lorsque deux bombes atomiques ont été larguées sur le Japon en 1945, des milliers de personnes ont subi une radioexposition très forte, voire mortelle. On a vite reconnu que l'étude des maladies futures des survivants irradiés constituerait une source unique de données sur les divers risques de la radioexposition. La progéniture de ces personnes pourrait livrer des données semblables sur les risques génétiques pour la population. Les gouvernements américain et japonais ont créé conjointement la Fondation de recherches sur les effets des rayonnements (RERF) pour la réalisation de telles études et l'évaluation des résultats.

La grande difficulté était d'estimer avec précision les doses de rayonnement reçues par les survivants. Comme ils ne portaient pas, bien sûr, de dosimètres, il a fallu concevoir des méthodes très ingénieuses pour évaluer les doses individuelles. La précision de ces méthodes était toutefois limitée, particulièrement en ce qui concerne les expositions légères. C'est pourquoi le Comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) rassemble en permanence des données supplémentaires au niveau international sur la radioexposition des êtres humains. Il présente des rapports périodiques à l'Assemblée générale des Nations Unies depuis 1958. Presque toutes les données d'intérêt ont été assemblées et passées en revue dans les rapports de la RERF et de l'UNSCEAR.

Les études de la RERF montrent qu'un nombre important de leucémies est apparu chez les survivants de la bombe atomique après quelque trois ans pour ensuite atteindre un maximum après sept ans et retomber à des niveaux normaux après 11 ou 12 ans. On prévoyait qu'une incidence excessive de tumeurs cancéreuses solides se manifesterait beaucoup plus tard. Les scientifiques prévoyaient que la courbe d'évolution serait la même, mais avec une montée plus lente et un maximum après un laps de temps bien plus long de peut-être 30 ou 35 ans. Ce maximum d'excédent de cancers observé n'a pas été atteint. Plus de 50 ans se sont écoulés depuis le largage des bombes atomiques, mais la fréquence du cancer chez les survivants fortement irradiés est demeurée supérieure d'environ deux pour cent à son incidence dans un groupe témoin de Japonais non irradiés tout au long des deux dernières décennies. Ceci a mené à l'adoption de ce que l'on appelle le modèle de risque relatif, qui fait valoir que l'excédent de risque de tumeur solide par radioexposition n'est pas une quantité absolue (comme cela semble être le cas avec la leucémie), mais est plutôt proportionnel à leurs valeurs naturelles d'incidence. Comme l'incidence du cancer s'élève avec l'âge, le modèle prévoit un nombre total plus élevé de cancers radio-induits, bien que la plupart de ces cancers se manifestent très tard au cours de la vie.

À la suite de ces études, la CIPR a abaissé les valeurs limites recommandées de dose professionnelle pour éviter que les valeurs totales à vie de risque de décès par cancer radio-induit soient supérieures à celles que permet de prévoir l'ancien modèle radiobiologique (indépendamment du fait que la plupart de ces cancers doivent se produire plus tard dans la vie et causer une perte d'espérance de vie bien inférieure à celle que l'on prévoyait au départ). Les nouvelles limites de dose recommandées, exprimées en doses moyennes sur cinq ans, n'ont pas encore été intégrées aux règlements de la Commission de contrôle de l'énergie atomique (CCEA), ce que l'on a souligné à plusieurs reprises pendant les audiences tenues par la Commission.

Les survivants de la bombe atomique ont reçu leur dose de rayonnement il y a plus de 50 ans. On mettra à jour régulièrement les estimations d'excédent de risque de cancer qu'ils ont pendant leur vie jusqu'à ce qu'ils soient tous morts. On révisera donc fréquemment les estimations de risque de radioexposition tirées de l'observation de ces survivants. Précisons cependant que, comme la plupart sont aujourd'hui très vieux, il est peu probable que ces estimations changent de façon importante.

De nombreux participants qui ne comprennent pas tout à fait pourquoi il y a eu des modifications ont dit à la Commission que l'on devrait s'attendre à de nouvelles hausses importantes des estimations de risque. La Commission n'accepte pas ces suggestions. Elle fait également remarquer que les survivants de la bombe atomique étudiés ont survécu en bien plus grand nombre pendant ces cinquante ans que les membres d'un groupe témoin correspondant de Japonais non irradiés qui présente la même répartition par âge. Ainsi, les survivants jouissent en réalité d'une espérance de vie supérieure à celle de leurs contemporains, bien que les décès par cancer soient en moyenne environ deux pour cent plus élevés dans ce groupe que dans le groupe témoin. Les décès imputables à toute autre cause sont inférieurs dans une proportion encore plus grande.

Nombreux sont les scientifiques qui y voient la preuve que des doses moyennes de rayonnement peuvent stimuler le système immunitaire et donc accroître la résistance à une grande diversité d'autres maladies, point de vue que corroborent des milliers d'études sur des animaux dont fait état la documentation scientifique, mais bien d'autres scientifiques sont d'avis qu'il serait prématuré de tirer une telle conclusion. La résistance accrue à la maladie du groupe étudié pourrait s'expliquer par les meilleurs soins médicaux qu'ont reçus collectivement les survivants de la bombe atomique ou par le décès précoce immédiatement après la guerre des survivants de constitution moins robuste, et ce, avant qu'on n'entreprenne une étude détaillée des autres survivants.

Comme l'excédent de risques de cancer reste faible même pour les gens qui ont été fortement irradiés, il est impossible d'établir si l'origine d'un cancer quelconque chez une personne irradiée est associée aux rayonnements. Les risques de cancer radio-induits sont donc considérés comme «stochastiques». On ne peut les exprimer que sous une forme probabiliste, même si les intéressés ont en réalité contracté des cancers.

Il y a une double difficulté à estimer ce risque stochastique à partir des données relatives aux survivants de la bombe atomique. L'imprécision des données et l'incertitude au sujet des doses de rayonnement effectivement reçues par les survivants risquent de fausser les estimations de risques. Il se peut également que les données sur les survivants soient d'une applicabilité restreinte aux travailleurs subissant une radioexposition professionnelle. Alors que les survivants de la bombe atomique ont reçu une seule dose aiguë presque instantanée de rayonnement lorsque la bombe a explosé, la plupart des gens qui subissent une exposition professionnelle accumulent lentement une dose importante du fait d'une faible irradiation chronique sur de nombreuses années. Des estimations de risques provenant d'autres populations irradiées sont nécessaires pour confirmer l'applicabilité des données relatives aux survivants de la bombe atomique. Beaucoup d'études semblables ont porté sur d'autres populations exposées, et notamment sur des groupes habitant des régions où le fond naturel de rayonnement est élevé ou qui reçoivent des doses d'irradiation médicale ou professionnelle inhabituellement fortes. Bien que de telles études aient été relativement compatibles avec celles des survivants de la bombe, le nombre de personnes exposées ou les doses en question sont telles que la fiabilité statistique de l'estimation dérivée de risque dû aux rayonnements est moindre que celle des études des survivants de la bombe atomique.

Pour combler cette lacune, le Centre international de recherche sur le cancer a parrainé des études à grande échelle sur les travailleurs de grands établissements nucléaires qui ont subi de fortes expositions professionnelles pendant de nombreuses années. Les résultats de la première étude du CIRC ont été communiqués à la Commission dans le cadre des audiences publiques [Bliss Tracey, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearings Transcripts, 13 mars 1996, p. 65-66.]. Cette étude a combiné les données relatives à ces «travailleurs sous rayonnements» dans trois pays, à savoir les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Tous ces travailleurs avaient utilisé des dosimètres homologués, si bien que les radioexpositions réelles ont pu être constatées avec une précision relative. On a relevé un très léger excédent de leucémies statistiquement non significatif dans le groupe le plus exposé, mais aucun surcroît de tumeurs solides. Bien que le nombre de sujets de cette étude internationale collective ait été suffisamment important pour que les résultats en soient d'une fiabilité statistique raisonnable, une étude encore plus vaste portant sur une période de suivi plus longue et des travailleurs appartenant à un plus grand nombre de pays a été entreprise.

On a en outre recueilli beaucoup de données sur les risques de cancer du poumon par exposition domestique à de grandes concentrations de radon dans les habitations. En règle générale, on n'a pas démontré l'existence d'un excédent de cancers. Santé Canada a mené une étude à grande échelle à Winnipeg où, si les risques calculés d'après les études des travailleurs des mines d'uranium s'appliquaient, on aurait établi d'une manière concluante une association entre l'incidence du cancer du poumon et les concentrations de radon dans les habitations. Une telle association n'a pu être établie. Aux États-Unis, le professeur Cohen, de l'Université de Pittsburgh, a réuni pour la majeure partie du territoire des États-Unis de grandes quantités de données d'où il ressort assez nettement qu'il existe une corrélation négative entre ces concentrations de radon et l'incidence de cancer pulmonaire.

S'appuyant sur ces résultats et d'autres données, bien des radiohygiénistes en sont venus à conclure à l'inexactitude de la relation linéaire adoptée en 1949 par la CIPR entre la radioexposition et le risque. Ils sont portés à croire que, dans la pratique, il existe une concentration seuil au-dessous de laquelle la radioexposition n'est pas néfaste et peut même s'avérer bénéfique. De l'avis de la Commission d'évaluation environnementale, cette opinion n'est pas suffisamment étayée pour que l'on soit porté à abandonner les méthodes prudentes actuelles de radioprotection. Toutefois, c'est un point de vue qu'a fait sien la Health Physics Society, première association de radiohygiénistes professionnels dans le monde.

Le fondement théorique d'une relation linéaire sans seuil réside dans la démonstration à partir d'expériences radiobiologiques que le nombre de ruptures chromosomiques par radioexposition est directement proportionnel à la dose. De là, on a supposé que, comme les cellules cancéreuses ont subi des altérations chromosomiques, le risque de cancer serait également proportionnel à la dose.

On reconnaît aujourd'hui qu'il se produit tout le temps chez un être vivant de nombreuses ruptures chromosomiques, que la plupart sont réparées et que les cellules abîmées impossibles à réparer sont éliminées par le système immunitaire. L'efficacité avec laquelle le système immunitaire effectue cette opération est le principal facteur de risque de cancer auquel s'expose l'individu. Ce risque s'accroît avec l'âge, surtout parce que l'efficacité du système immunitaire décroît au fil des ans.

De nombreux scientifiques pensent qu'il est possible de démontrer en laboratoire que, si de fortes doses de rayonnement inhibent le système immunitaire, une faible exposition chronique le stimule. Ce débat se poursuit parmi de nombreux groupes de médecins et de scientifiques qui estiment d'autres risques stochastiques comme ceux des produits chimiques présents dans l'environnement et d'autres facteurs. Ces groupes sont maintenant réunis dans l'organisme BELLE (Biological Effects of Low-Level Exposures) qui publie périodiquement un bulletin d'information pour maintenir le contact entre les scientifiques qui s'intéressent au problème mais qui travaillent dans des disciplines différentes. L'organisme a également un site Web dans Internet, d'où la possibilité pour les intéressés de suivre certaines études scientifiques en cours.

Les données scientifiques sur les effets cancérogènes des rayonnements sur les humains viennent d'études de personnes irradiées à des doses de 10 à 30 000 millisieverts (mSv). Dans le monde, la dose annuelle type du fond naturel de rayonnement s'établit à environ 3 mSv (l'EIE fait état d'une valeur moyenne de 2,6 mSv pour le Canada [. Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, p. 42.] ). La limite de dose annuelle recommandée par la CIPR pour les radioexpositions non médicales supplémentaires d'un membre du public est de 1 mSv (publication 60 de la CIPR). Les méthodes de diagnostic radiographiques peuvent comporter des doses de tissus locaux variant entre 1 et 30 000 mSv.

Les études sur les survivants de la bombe atomique n'indiquent aucune augmentation statistiquement significative de l'incidence du cancer à des doses inférieures à 20 mSv, mais pour les doses supérieures, le risque de cancer semble varier linéairement avec la dose reçue. Dans la controverse actuelle, on se demande si cette réponse linéaire porte sur les doses les plus faibles sur lesquelles on peut produire des données expérimentales. On ne dispose pas encore de données scientifiques suffisantes pour répondre définitivement à cette question.

Les textes de réglementation de la CCEA exigent que le risque annuel pour une personne après la fermeture d'une installation de déchets hautement radioactifs soit de moins de 1 cas de cancer mortel ou d'effets génétiques graves sur un million. D'après l'hypothèse de linéarité, cela correspond à une dose de rayonnement de moins de 0,05 mSv par an, d'où la conclusion que tout effet sur la santé serait si faible qu'il appartiendrait à une zone qui, dans le tracé des effets, se situerait bien au-dessous de celle pour laquelle nous n'obtiendrons jamais de données expérimentales. Tant qu'on n'aura pas démontré de façon convaincante la non-linéarité de la réponse pour tous les types de radioexposition, on n'a guère d'autre choix que de se reporter à l'hypothèse de la linéarité pour calculer une valeur plafond pour le risque associé à des expositions aussi faibles, tout en convenant qu'il s'agit probablement là d'une démarche prudente. La Commission accepte donc que le facteur de risque dû aux rayonnements qu'indique la publication 60 de la CIPR soit aujourd'hui le meilleur moyen de base pour évaluer les conséquences de l'hygiène radiologique de l'implantation d'une installation de déchets hautement radioactifs.