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Rapport de la commission d'examen

2.0 Nature du problème

Pour mettre en perspective la suite de ce rapport, nous décrivons dans le présent chapitre le cadre dans lequel la Commission s'est efforcée d'accomplir son mandat. Nous commencerons par décrire brièvement la situation actuelle dans le domaine de la gestion des déchets. Ensuite, nous présenterons d'autres points de vue sur la gestion des déchets de combustible nucléaire, et notamment les critères s'appliquant à la gestion d'autres déchets, les perspectives et les vues internationales et les solutions de rechange au stockage permanent en formations géologiques profondes. Enfin, nous nous attacherons à certaines grandes questions complexes soulevées à l'occasion de l'examen, et plus particulièrement aux enjeux sociaux et à l'optique des populations autochtones. Nous conclurons en dressant le cadre où se situe le problème étudié par la Commission

2.1 Définition du problème de gestion des dèchets

Dans cette section, nous exposerons les faits connus de la Commission au moment de la rédaction de son rapport. Cette description objective ne traduit pas nécessairement les vues de ses membres. 

2.1.1 L'énergie nucléaire au Canada

En mars 1997, 21 réacteurs nucléaires CANDU étaient en exploitation au Canada, 1 (tranche 2 de Bruce) était arrêté et aucun réacteur n'était en chantier. Le tableau 1 indique la répartition provinciale des réacteurs et leur contribution individuelle à la production d'électricité dans chaque province en cause.

Tableau 1 - Répartition des réacteurs et contribution à la production d'électricité
Province Nombre de réacteurs nucléaires en exploitation Contribution (%) des réacteurs nucléaires à la production d'électricité de chaque province en 1994*
Ontario 19 61
Québec 1 3
Nouveau-Brunswick 1 33

* Association canadienne d'électricité et Ressources naturelles Canada, Electric Power in Canada 1994, Approvisionnements et Services Canada, 1995, p. 60.

En 1994, les centrales thermiques classiques (la plupart au charbon) produisaient 19 % de l'électricité canadienne, les centrales hydroélectriques 61 %, les centrales nucléaires 19 % et les autres 1 % [Association canadienne de l'électricité et Ressources naturelles Canada, Electric Power in Canada 1994 (Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1995), p. 68. En 1996, la part des centrales nucléaires est tombée à quelque 16 % et cet apport relatif diminue toujours.

Pour mettre la situation canadienne dans une perspective internationale, disons que 442 centrales nucléaires étaient en exploitation dans 30 pays en 1996 et que 36 autres étaient en chantier. En 1992, les centrales thermiques classiques (pour la plupart au charbon), les centrales hydroélectriques, les centrales nucléaires et les autres sources ont représenté respectivement 64, 18, 17 et moins de 1 % de la production mondiale d'électricité [Association canadienne de l'électricité et Ressources naturelles Canada, Electric Power in Canada 1994, p. 18. 

2.1.2 Le cycle du combustible nucléaire au Canada

Le cycle du combustible nucléaire illustré à la figure 2 se divise en trois étapes :

  • la première étape est celle de l'extraction, du broyage, de l'affinage et de la transformation de l'uranium et de la fabrication du combustible;
  • la deuxième étape est celle de l'irradiation du combustible à l'intérieur de réacteurs nucléaires pour la production d'électricité;
  • la troisième étape est celle de la gestion du combustible usé et des déchets des réacteurs.

On parle d'un cycle ouvert ou à passage unique si l'on utilise le combustible une fois pour ensuite l'évacuer. Dans un cycle fermé, on retraite le combustible usé pour en recycler les éléments utiles et on évacue les déchets du retraitement. En 1996, on a transformé environ 16 % de l'uranium produit au Canada en combustible à oxyde d'uranium en vue de son utilisation dans les réacteurs CANDU à cycle ouvert du pays. 

2.1.3 Nature des déchets

Des déchets sont produits à chaque stade du cycle du combustible, mais la Commission s'est attachée aux «déchets de combustible nucléaire», qui «comprennent les grappes de combustible usé solidifié provenant des réacteurs CANDU ou les déchets radioactifs de haute activité qui en proviennent au cas où, dans le futur, on procédait au retraitement de ce combustible usé» [Voir le mandat à l'annexe A. Comme l'indique la figure 3, les grappes de combustible sont à peu près de la taille d'une bûche de foyer et consistent en gaines tubulaires en alliage de zirconium qui renferment des pastilles céramiques d'oxyde d'uranium.

Figure 2 : Cycle du combustible nucléaire et principaux modes possibles de gestion des déchets au Canada

Figure 2 : Cycle du combustible nucléaire et principaux modes possibles de gestion des déchets au Canada

Figure 3 : Grappe de combustible CANDU (Source : EACL)

Figure 3 : Grappe de combustible CANDU (Source : EACL)

--Chaque grappe produit environ 1 million de kilowattheures d'électricité, ce qui équivaut à la combustion d'environ 400 tonnes de charbon et suffit à alimenter 100 maisons pendant un an.

Une grappe de la centrale de Bruce d'Ontario Hydro pèse quelque 24 kilogrammes, dont environ 19 kilogrammes d'uranium. Comme cette centrale a le plus grand stock de combustible usé, ses grappes ont constitué la forme des déchets de référence dans les études de cas présentées dans l'EIE d'EACL. Aux fins de ces études, on a supposé que le combustible avait été retiré du réacteur et se trouvait en stockage provisoire depuis dix ans.

Si l'on devait recourir un jour au retraitement et au recyclage, des déchets de haute activité et d'autres déchets radioactifs liquides seraient issus des grappes de combustible CANDU usé. On immobiliserait les déchets hautement radioactifs par dissolution et solidification dans une matrice mère de verre ou de verre-céramique sous la forme d'un gros bloc massif ou d'une grosse bûche. Nous traitons plus amplement à l'annexe L du retraitement et du recyclage avec les déchets qui en proviennent.

Les réacteurs CANDU pourraient fonctionner avec plusieurs cycles de combustible avancés, y compris avec du combustible à mélange d'oxydes (MOX), combinaison d'oxydes de plutonium et d'uranium. En avril 1996, le premier ministre a annoncé que le Canada acceptait en principe d'utiliser du combustible MOX dans ses réacteurs CANDU afin d'aider les États-Unis et la Russie à réduire leurs stocks allant jusqu'à 100 tonnes de plutonium excédentaire issu d'armes nucléaires démantelées.  [Géraldine A. Underdown, Ressources naturelles Canada, Plutonium Mixed Oxide Fuel Initiative, communication à la commission de l'ACEE chargée d'examiner le concept de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire du Canada, audiences publiques de phase II, PH2Gov.007, juin 1996, p. 1. Au moment où nous rédigeons ces lignes, on étudie encore la faisabilité d'un tel projet. Les ministres de l'Environnement et des Ressources naturelles ont déclaré qu'une évaluation environnementale en bonne et due forme et un examen public par une commission indépendante auraient lieu avant que des décisions définitives ne soient prises en la matière. [Anne Dawson, "‘Hot' Idea from Marchi: Canada a Dump for U.S. Plutonium?", The Toronto Sun, 11 décembre 1996, p. 26, et Glen Schaefer, "Public Study Promised on Taking U.S. Plutonium," The Vancouver Province, 11 décembre 1996, p. A6. 

2.1.4 Quantité de déchets

À la fin de 1996, environ 1,2 million de grappes de combustible CANDU usé (d'un poids total de 29 400 tonnes métriques) se trouvaient en stockage provisoire au site des centrales nucléaires canadiennes. Avec une telle quantité, on remplirait en gros trois patinoires réglementaires jusqu'au haut des bandes. Ces déchets viennent d'Ontario Hydro, de la Société d'Énergie du Nouveau-Brunswick, d'Hydro-Québec et d'EACL dans des proportions approximatives de 87, 6, 5 et 2 %.

Selon EACL, on produit quelque 85 000 grappes de combustible usé tous les ans. Avec les seuls réacteurs qui existent aujourd'hui, on dénombrerait en l'an 2033 3,6 millions de grappes au total, dont 3,3 millions appartiendraient à Ontario Hydro. On ne prévoit pas actuellement de mettre de nouveaux réacteurs en chantier, mais la situation pourrait évoluer en fonction des circonstances économiques de la production d'énergie et des besoins et des politiques énergétiques des provinces. D'après les estimations de l'EIE, si l'on devait maintenir la capacité électronucléaire qui existait en mars 1993 en construisant de nouveaux réacteurs pour remplacer ceux qui seront mis hors service, ce sont 10 millions de grappes ou 240 000 tonnes que l'on aurait produites en l'an 2073. Si l'on devait augmenter la capacité électronucléaire de 3 % en moyenne par an après 1994, 10 millions de grappes auraient été produites en l'an 2035. L'installation de référence des études de cas d'EACL est conçue pour recevoir 10 millions de grappes de combustible usé.

2.1.5 Composition, longévité et toxicité des déchets

Le combustible CANDU neuf renferme trois nucléides différents de l'uranium. Par bombardement neutronique du combustible dans un réacteur CANDU, on obtient des produits de fission et d'activation, dont certains entrent en décroissance radioactive, tout en émettant un rayonnement, formant de nouveaux nucléides et produisant de la chaleur.La désintégration radioactive se poursuit une fois que le combustible usé est retiré du réacteur. Dans ce processus, rayonnement et chaleur se dégagent à un rythme décroissant et la composition du combustible évolue dans le temps. Après dix ans de refroidissement, le combustible CANDU usé visé par les études de cas de l'EIE contenait environ 98,7 % de l'uranium initial, respectivement 0,65 % et 0,16 % de produits stables et radioactifs de fission et 0,49 % de produits d'activation (pourcentage de la masse totale d'uranium dans le combustible neuf).[Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, p. 32.Dans l'ensemble, le combustible usé renferme quelque 350 nucléides différents, dont 200 sont radioactifs (radionucléides).  [L.H. Johnson, J.C. Tait, D.W. Shoesmith, J.L. Crosthwaite et M.N. Gray, Le stockage permanent des déchets de combustible nucléaire du Canada : Barrières ouvragées possibles (D - Barrières) (rapport d'Énergie atomique du Canada limitée AECL - 10718, COG - 93 - 8, 1994), p. 12.Au bout d'un million d'années environ, le degré d'activité par unité de masse tombe à celui de l'uranium naturel et de ses produits de décroissance radioactive associés. [Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, figure 2-5, p. 29.

Cette désintégration entraîne un rayonnement alpha, bêta ou gamma. La nature de ce rayonnement détermine si le radionucléide émetteur représente un danger externe ou interne pour un organisme, le risque interne étant consécutif à une ingestion ou à une inhalation. Le rayonnement alpha constitue essentiellement un danger interne, alors que le rayonnement bêta présente un léger danger externe, mais un danger interne plus grand et le rayonnement gamma, un danger à la fois externe et interne.

Les effets biologiques éventuels d'une radioexposition dépendent de la dose absorbée par unité de biomasse, de la durée de l'exposition, du débit de dose, de la nature du rayonnement et de la sensibilité des tissus ou des organes ainsi exposés.  [Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, p. 41. On exprime les doses aux humains en équivalent de dose (qui se mesure en sieverts) de manière à tenir compte de réactions qui varient selon la nature du rayonnement dans l'organisme. [L. Grondin, K. Johansen, W.C. Cheng, M. Fearn - Duffy, C.R. Frost, T.F. Kempe, J. Lockhart - Grace, M. Paez - Victor, H.E. Reid, S.B. Russell, C.H. Ulster, J.E. Villagran et M. Zeya, Le stockage permanent des déchets de combustible nucléaire du Canada : Évaluation de préfermeture d'un système conceptuel (D-Préfermeture) (rapport d'Ontario Hydro N - 03784 - 940010 (UFMED), COG - 93 - 6, 1994), p. GL-12. À titre documentaire, précisons que la dose annuelle que reçoivent la plupart des Canadiens par le fond naturel de rayonnement s'établit approximativement à trois millièmes de sievert. Comme on le dit à l'annexe H, les probabilités sont faibles qu'une radioexposition provoque une affection maligne, qui pourrait ne pas être détectée avant 30 ans et plus, ou encore des mutations du code génétique d'une personne avec des effets sur sa progéniture. Ces effets sont tenus pour probabilistes, les probabilités en question s'élevant en proportion de la dose reçue par les tissus. Même dans le cas de très fortes doses de l'ordre d'un sievert comme celles qu'ont reçues les survivants de la bombe atomique, le risque de contracter un cancer par irradiation demeure très mince. Dans le cas des expositions professionnelles les plus courantes des travailleurs sous rayonnements (expositions comparables aux concentrations du fond naturel de rayonnement), le risque annuel de cancers mortels ou d'effets génétiques graves ne dépasse pas de beaucoup un cas sur un million.

Si les doses sont particulièrement élevées (plusieurs sieverts ou plus), il peut s'ensuivre une lésion immédiate des tissus. C'est ce que l'on appelle un effet aigu ou déterministe. Dans le cas des doses au corps entier de l'ordre de trois à quatre sieverts, la lésion aiguë par irradiation peut même se révéler mortelle en l'espace de quelques jours.

Outre les radionucléides, le combustible usé renferme plusieurs éléments toxiques au point de vue chimique, dont des métaux lourds. Ces éléments peuvent également avoir des effets biologiques, lesquels dépendent de même d'un certain nombre de facteurs. À la différence des radionucléides qui subissent une décroissance radioactive qui a pour effet d'en diminuer le potentiel toxique avec le temps, ces éléments ne perdent pas de leur toxicité.

2.1.6 Mode actuel de stockage provisoire

Le combustible nucléaire usé est actuellement stocké de façon provisoire à l'intérieur dans des piscines ou à l'extérieur dans des silos en béton au site des centrales nucléaires. Les objectifs de ce stockage provisoire sont une gestion sûre, fiable et économique du combustible et la sauvegarde de son intégrité, ce qui garantit sa récupérabilité pour de futures activités en aval (activités postérieures au stockage provisoire), pour son transport et son stockage permanent, par exemple.[C. R. Frost, Current Interim Used Fuel Storage Practice in Canada (rapport d'Ontario Hydro Nuclear N - 03710 - 940052, 1994), p. 1.   D'après une publication d'Ontario Hydro, si l'on maintient des contrôles institutionnels de sécurité physique, de surveillance, d'entretien et de financement, il y a lieu de prévoir que ces objectifs seront atteints aussi longtemps qu'il le faudra dans l'avenir.  [C. R. Frost, Current Interim Used Fuel Storage Practice in Canada, p. 67, citation dans Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, p. 61. Ceci implique que le degré de risque lié aux installations de stockage provisoire est actuellement acceptable à la société.

La capacité d'entreposage provisoire aux centrales mêmes suffit pour recevoir tout le combustible usé qui sera produit jusqu'à la fin de la durée utile des réacteurs en place. Toutefois, Ontario Hydro a déclaré à l'occasion des audiences que, si elle estimait qu'un entreposage provisoire de longue durée en surface était faisable au point de vue technique, il lui fallait pousser les études pour juger définitivement si le recours au seul entreposage provisoire représentait une stratégie acceptable à long terme. [Frank King et Ken Nash, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearings Transcripts, 21 novembre 1996, p. 30 et 24.   Tant au Canada que dans d'autres pays, des chercheurs étudient des méthodes devant permettre d'améliorer le stockage provisoire de longue durée sur le site.

2.1.7 Justification du stockage permanent et du choix du moment par EACL

Bien qu'EACL n'ait pas le mandat de réaliser le stockage permanent, voici en bref comment elle justifie le concept qu'elle propose, comme elle le fait dans l'EIE. [Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, p. 2-3.

On pourra voir à la section 2.3.3 ce qu'en pensent les participants.

  • Il existe actuellement une quantité importante de déchets de combustible nucléaire et cette quantité augmentera avec le maintien de la production d'énergie nucléaire au Canada.
  • Comme les déchets de combustible nucléaire sont radioactifs et renferment des éléments toxiques au point de vue chimique, on a le devoir de protéger la santé humaine et le milieu naturel contre leurs effets préjudiciables pour de très nombreuses années à venir.
  • Bien que sûrs, les modes actuels de stockage provisoire exigent de constantes mesures de contrôle institutionnel.
  • Comme les méthodes permettant de garantir la permanence des contrôles institutionnels ne sont pas jugées très sûres au-delà d'un horizon de quelques centaines d'années, on doit préférer au stockage provisoire un stockage permanent qui ne compte pas sur de tels éléments de contrôle pour sa sûreté à long terme. Le stockage permanent n'empêche pas les contrôles institutionnels, mais ceux-ci doivent être tels que, s'ils devaient connaître des défaillances, la santé humaine et le milieu naturel soient encore protégés, comme l'exige la CCEA.
  • Comme la génération actuelle profite grandement des activités qui produisent des déchets de combustible nucléaire, c'est elle qui devrait assumer la responsabilité de leur stockage permanent et réduire autant que possible le fardeau imposé aux générations futures.
  • Comme le Canada ne peut s'attendre à évacuer ailleurs ses déchets de combustible nucléaire, il lui faut adopter un mode pratique de stockage permanent.

EACL recommande en outre de prendre des mesures de sélection de site et de stockage permanent pour les raisons suivantes :

  • il faut réduire au minimum les charges imposées aux générations à venir;
  • il faut faire cesser la dépendance à l'égard de contrôles institutionnels de longue durée avant que les défaillances qu'ils sont susceptibles de connaître rendent impossible le stockage provisoire ou permanent sûr;
  • il faut maintenir les moyens technologiques qui ont été mis au point, ce qui comprend les connaissances et les compétences des scientifiques et des ingénieurs, et protéger ce qu'y ont investi les gouvernements canadien et ontarien;
  • il faut accroître la confiance du public dans la capacité du Canada à stocker en permanence les déchets de combustible nucléaire, au lieu d'affaiblir cette confiance par de constants délais;
  • il faut que puissent être abordées en toute efficacité et efficience les questions propres au site et à la conception.

En complément de justification, EACL a soulevé les points suivants :

  • Si l'on retarde le stockage permanent parce que le stockage provisoire coûte moins cher, les générations futures pourraient prendre la même décision de sorte qu'on ne passe jamais à un stockage permanent.
  • Si l'on retarde le stockage permanent dans l'attente de perfectionnements d'ordre technologique, bien que l'on dispose déjà d'une méthode sûre, les générations futures pourraient prendre la même décision et ne jamais passer à un stockage permanent.
  • Il n'est pas justifié de retarder le stockage permanent jusqu'à ce que l'activité et la puissance thermique du combustible usé décroissent avec le temps, car cette réduction sera faible après les dix premières années.
  • Si on le souhaite, on pourrait retraiter et recycler le combustible usé pendant la sélection d'un site et l'exploitation d'une installation de stockage permanent et les déchets solidifiés de haute activité pourraient être stockés dans ce dépôt de déchets.

On a présenté d'autres arguments pour justifier des mesures immédiates de stockage permanent. En 1995, le Bureau du vérificateur général du Canada priait les autorités de procéder sans délai à la mise en application de solutions à long terme rentables pour la gestion des déchets radioactifs de notre pays. Il a fait ressortir la nécessité d'alléger le plus possible non seulement le fardeau financier imposé aux générations à venir, mais aussi les responsabilités futures du gouvernement canadien. Le gouvernement est responsable quand il s'occupe de ses propres déchets (déchets d'EACL) ou lorsque le producteur ou le propriétaire de déchets ne peut plus raisonnablement en être tenu pour responsable ou ne peut ou ne veut plus payer le coût de leur gestion. Cette dernière situation s'est déjà produite dans le cas de certains déchets radioactifs. [Vérificateur général du Canada, Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des communes (Ottawa : 1995), p. 3-10. 

2.1.8 Contexte des règlements et des politiques

Comme le gouvernement fédéral a compétence et responsabilité de réglementation dans le domaine de l'énergie nucléaire, il conçoit les politiques, les stratégies et les règlements nationaux de gestion des déchets radioactifs. C'est le rôle que jouent Ressources naturelles Canada et la CCEA, laquelle rend des comptes au Parlement par l'intermédiaire du ministre des Ressources naturelles, tout en demeurant indépendante de cette autorité ministérielle. Nombreux sont les autres lois, règlements et prescriptions des autorités fédérales, provinciales et municipales qui s'appliquent également à certains éléments de la réalisation d'une installation de stockage permanent.

2.1.8.1 Appareil réglementaire

La CCEA est le principal organisme de réglementation des éléments de santé, de sûreté et de sécurité physique du cycle du combustible nucléaire au Canada. Dans toutes leurs étapes, la création d'installations nucléaires et la gestion des substances radioactives relèvent de la Loi et du Règlement sur le contrôle de l'énergie atomique. De plus, la Loi sur la responsabilité nucléaire, qui fait actuellement l'objet d'un examen, s'applique aux installations nucléaires, et non aux installations de stockage permanent pour le moment.

À chaque stade de la délivrance du permis d'exploitation d'une installation de stockage permanent (préparation de site, construction, exploitation et déclassement), une évaluation environnementale s'impose en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Celle-ci prévoit une consultation du public avec un examen mené par une commission indépendante dans certaines circonstances (si l'intérêt du public le justifie, par exemple).

La CCEA compte non seulement sur des règlements, mais aussi sur les conditions de délivrance de permis, les déclarations de principe en matière de réglementation et les guides de réglementation, pour exercer un contrôle sur l'industrie nucléaire à divers degrés. Vu le caractère technique du mandat que lui a confié le législateur, cet organisme n'a pas qualité pour juger des questions de situation socioéconomique ou de mode de vie qui sont liées aux projets nucléaires.

D'un intérêt tout particulier pour le concept à l'étude sont les textes de réglementation de la CCEA qu'énumère le tableau 2.

Tableau 2 : Textes de réglementation utiles de la commission de contrôle de l'énergie atomique
No Type Titre Année
R-71 Déclaration de principe en matière de réglemen-tation Évacuation en profondeur des déchets de combustible nucléaire : historique et exigences réglementaires concernant le stade de l'évaluation du concept 1985
R-72 Guide de réglemen-tation Considérations géologiques pour le choix d'un site de dépôt souterrain de déchets hautement radioactifs 1987
R-90 Déclaration de principe en matière de réglementation Déclassement des installations nucléaires 1988
R-104 Déclaration de principe en matière de réglemen-tation Objectifs, exigences et lignes directrices réglementaires à long terme pour l'évacuation des déchets radioactifs 1987

Au début de 1998, la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) succéderont respectivement sans doute à la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique et à la CCEA. Contrairement à la CCEA, la CCSN sera habilitée à prendre des mesures correctives et à exiger des garanties financières des producteurs de déchets comme condition de délivrance de permis. À la différence de la loi actuelle, la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires aura pour exigence expresse - et non pas implicite - la protection de l'environnement. La CCEA élabore actuellement une déclaration de principe sur la protection environnementale où elle tient notamment compte des effets radiologiques sur les espèces non humaines.

Pour mieux se renseigner sur les exigences réglementaires de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire, on se reportera aux indications de l'annexe B de l'EIE et du document D-Préfermeture.

2.1.8.2 Normes internationales

Plusieurs organismes internationaux proposent des normes et des règles de gestion des déchets de combustible nucléaire : Commission internationale de protection radiologique (CIPR), Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Normes et lignes directrices sont plus amplement décrites dans l'EIE (chapitre 3 et annexe D). Les objectifs et les exigences énoncés par ces organismes internationaux et d'autres ont servi de base au régime réglementaire de la CCEA et à la politique adoptée par le gouvernement canadien. Avec les normes et règles de la CCEA et d'EACL, elles ont façonné le concept canadien de stockage permanent.

2.1.8.3 Politique

La politique du gouvernement fédéral vient compléter les règlements, les textes de réglementation et les normes internationales en matière de gestion des déchets de combustible nucléaire. Dans son rapport de 1995 relatif à la gestion fédérale des déchets radioactifs, le Bureau du vérificateur général signale l'existence d'une seule politique fédérale officielle pour ce qui est des déchets radioactifs et précise que cette politique ne vise que les déchets faiblement radioactifs. Il en conclut que «Ressources naturelles Canada doit élaborer des politiques fédérales pour couvrir toutes les catégories de déchets radioactifs». [Vérificateur général du Canada, Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des communes, p. 3-37.

En réponse, le ministre des Ressources naturelles a annoncé en juillet 1996 l'établissement d'une politique-cadre des déchets radioactifs (voir l'annexe I). Il y indique que, en ce qui a trait au stockage permanent de ces déchets, c'est le gouvernement fédéral qui élabore les politiques et encadre les producteurs et les propriétaires de déchets par des mesures de réglementation. Suivant le principe du «pollueur payeur», les producteurs et les propriétaires doivent financer, organiser, gérer et exploiter les installations de stockage permanent des déchets et les autres centres de gestion. Vers la fin de 1996, Ressources naturelles Canada a aussi mené des consultations sur les dispositions institutionnelles et financières relatives au stockage permanent des déchets radioactifs. Ce ministère a déclaré que le gouvernement fédéral attend le rapport de la Commission pour décider de ses orientations futures.  [Peter Brown, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearings Transcripts, 21 novembre 1996, p. 236. 

2.2 Autres points de vue sur la gestion des déchets de combustible nucléaire

2.2.1 Comparaison avec la gestion d'autres déchets

La Commission fera aussi l'examen des critères généraux de gestion des déchets de combustible nucléaire par rapport à ceux des déchets provenant d'autres sources énergétiques et industrielles. De plus, la Commission devra examiner les répercussions du recyclage ou d'autres procédés sur le volume des déchets.

Mandat

Dans cette section, nous résumerons notre examen de certaines questions stipulées dans le mandat. À l'annexe J, nous comparons de façon plus détaillée les caractéristiques, les quantités, les modes de gestion et les critères de réglementation du combustible nucléaire et de déchets analogues et nous traitons brièvement de l'incidence du recyclage et d'autres procédés sur le volume des déchets. On trouvera plus de détails sur cette dernière question à l'annexe L.

Les déchets dangereux et leur gestion présentent le meilleur analogue qui soit au dossier des déchets de combustible nucléaire. Bien que des thèmes communs lient les règlements et politiques sur les déchets radioactifs à ceux des autres déchets dangereux, il n'y a pas de façon globale et uniforme de s'occuper de ces deux catégories de déchets. Comme les autorités fédérales sont responsables des questions nucléaires, la réglementation de tous les déchets radioactifs incombe dans une large mesure à la CCEA. Les déchets d'autres sources énergétiques ou industrielles relèvent toutefois de la réglementation fédérale, provinciale et même municipale. Des organismes comme le Conseil canadien des ministres de l'environnement (CCME) coordonnent l'élaboration de lignes directrices nationales portant sur les divers problèmes de déchets.

D'après les comités consultatifs de la CCEA et le groupe de travail de Santé Canada sur l'évaluation et la gestion des risques de cancer d'origine chimique ou radiologique, les pratiques de gestion des risques tant des déchets de combustible nucléaire que des produits chimiques visent à réduire les dangers au minimum, tout en gardant un juste équilibre entre les avantages d'une telle réduction et le coût et la faisabilité de mesures de contrôle [David Myers, Assessment and Management of Cancer Risks from Chemical and Radiological Hazards (résumé et transparents d'une communication à la conférence de 1996 de l'Association canadienne de radioprotection, Trois-Rivières, 10 juin 1996, engagement 7), p. 17.

C'est ce que l'on appelle le principe ALARA suivant lequel le niveau d'exposition devrait être le plus bas qui puisse raisonnablement être atteint compte tenu des facteurs économiques et sociaux qui entrent en jeu.

Toutefois, la Commission a appris que, dans le cas des rayonnements, on applique ce principe de manière à ce que les expositions représentent une petite fraction des valeurs limites réglementaires, alors que les limites établies pour les produits chimiques englobent déjà une certaine forme d'ALARA. [David Myers, Assessment and Management of Cancer Risks from Chemical and Radiological Hazards, p. 20, et J.A.L. Robertson, Some Additional Comments on Submissions to the Panel(PH3Pub.234(c), 26 mars 1997), p. 2.

Ainsi, le principe s'applique d'une manière hétérogène au strict respect ou au dépassement des limites réglementaires. Pour les deux catégories de substances, on prévoit un degré moindre de risque admissible pour la population que pour les travailleurs de l'industrie.

Dans le cas des déchets de combustible nucléaire qui ne font actuellement pas l'objet d'un retraitement au Canada, la CCEA préfère le stockage permanent. Le dépôt doit se trouver en formations géologiques profondes, réduire au minimum le fardeau imposé aux générations futures, ne pas compter sur des contrôles institutionnels à long terme comme garantie nécessaire de sûreté et maintenir le risque radiologique au-dessous d'un niveau prévu pendant les 10 000 ans qui suivront la fermeture de l'installation.

En revanche, ce que l'on préfère de plus en plus pour la gestion des déchets dangereux, c'est la hiérarchie des 4R (réduction, réutilisation, recyclage et récupération), suivie du stockage permanent en dernier recours. Toutefois, cette préférence contraste avec les pratiques du passé et une foule de pratiques d'aujourd'hui en gestion des déchets. Au Canada, les déchets dangereux sont enfouis ou rejetés à l'égout municipal dans une proportion de 60 %, le reste faisant l'objet d'un traitement. L'enfouissement en surface techniquement conçu pour contrôler les processus et les produits de lixiviation est le mode habituel d'évacuation. Les lignes directrices sur l'enfouissement de déchets dangereux du CCME insistent plus sur les contrôles immédiats de postfermeture et moins sur la sûreté à très long terme que celles de la CCEA relatives au stockage permanent des déchets radioactifs. Dans ses lignes directrices, la CCEA écarte toute dépendance à l'égard de tels contrôles institutionnels en vue d'assurer une sûreté passive de longue durée.

Lors de nos audiences, on s'est demandé si des critères communs devraient s'appliquer aux déchets de combustible nucléaire et aux autres déchets dangereux, et plus particulièrement si le principe des 4R pourrait présider à la gestion des déchets de combustible nucléaire. Ces questions sont traitées à l'annexe J. Un certain consensus pourrait naître des projets de collaboration de la CCEA avec Environnement Canada et les provinces visant à établir un cadre réglementaire de protection du milieu, et notamment des espèces non humaines, contre les sources industrielles de rayonnement dans le sens même de la Politique fédérale de gestion des substances toxiques. Un autre consensus pourrait se dégager des travaux récemment entrepris conjointement par les comités consultatifs de la CCEA et le groupe de travail de Santé Canada sur l'évaluation et la gestion des risques de cancer d'origine chimique ou radiologique.

La Commission juge souhaitable de travailler à des méthodes communes d'évaluation et de gestion des risques et à des critères d'appréciation des risques convenus et acceptés par la population de sorte que les risques relatifs soient jaugés en toute équité, qu'ils soient dus aux rayonnements ou non. Il faudrait toujours tenir compte des particularités des diverses catégories de déchets, mais l'adoption de telles mesures communes pourrait représenter un premier pas en avant.

L'examen fait par la Commission des critères généraux de gestion des déchets d'autres sources énergétiques ou industrielles n'a pas livré d'analogues explicites pouvant servir à arrêter des critères de gestion des déchets de combustible nucléaire. Toutefois, pendant nos audiences, nous avons recueilli une foule d'indications utiles sur la gestion des déchets faiblement radioactifs et des déchets dangereux, ainsi que sur les pratiques de stockage provisoire des déchets de combustible nucléaire. Toute cette information s'est révélée d'un grand secours dans l'élaboration des conclusions et des recommandations présentées ailleurs dans ce rapport.

2.2.2 Expérience internationale

Lors de son évaluation du concept de l'EACL, la Commission devra aussi se mettre complètement au courant des programmes d'autres pays experts en la matière, plus précisément de leurs analyses des diverses formations géologiques ainsi que de leurs plans et calendriers appropriés pour le choix des emplacements et la construction d'installations de gestion des déchets de combustible nucléaire.

Mandat

À l'annexe K du présent rapport, nous décrivons les programmes de gestion des déchets de combustible nucléaire de neuf pays et présentons un tableau synoptique. Nous exposons ainsi le contexte international où s'inscrit la gestion canadienne des déchets hautement radioactifs et indiquons comment le concept de stockage permanent en formations géologiques profondes qu'a élaboré EACL s'accorde avec le «consensus international» de gestion des déchets de combustible nucléaire. Dans le corps du présent rapport, nous n'avons pas voulu résumer les divers programmes nationaux, mais nous livrerons quelques observations générales au moment de dresser la toile de fond des questions abordées dans de futurs chapitres.

La plupart des pays dotés d'importants programmes électronucléaires conçoivent une stratégie de gestion prévoyant un stockage géologique profond des déchets de combustible nucléaire. Les programmes et les recherches visent généralement une installation unique de stockage permanent des déchets dans l'espoir qu'un tel dépôt pourra être mis en service d'ici la fin des vingt-cinq premières années du prochain siècle. Bien que l'on songe à divers milieux géologiques selon les conditions propres aux divers pays, les caractéristiques générales convergent dans la plupart des pays vers un concept de stockage permanent en formations géologiques de silos de déchets dans une installation excavée.

La réalisation de projets témoins de stockage permanent et un stockage provisoire centralisé constituent deux éléments fondamentaux de certains programmes nationaux. Mentionnons notamment le programme néerlandais où on s'est récemment intéressé au stockage permanent avec récupération après une décision prise par le gouvernement de rejeter les méthodes d'entreposage sans faculté de récupération.  [Agence pour l'énergie nucléaire de l'Organisation de coopération et de développement économiques, "Update on Waste Management Policies and Programs," Bulletin sur les déchets nucléaires, vol. 11 (juin 1996), p. 38-39.

Lorsque nous avons regardé ce qui se passait dans les pays d'avant-garde dans ce domaine comme nous le demandait notre mandat, nous avons remarqué que les pays d'Europe orientale dotés de programmes électronucléaires songeaient aussi à un stockage permanent dans les profondeurs d'une formation géologique, en l'occurrence dans une formation de sel gemme.

La communauté technoscientifique internationale qui étudie la gestion des déchets de combustible nucléaire échange une grande quantité de données objectives et d'expériences dans un cadre bilatéral et par des tribunes multilatérales comme l'AEN-OCDE à Paris et l'AIEA à Vienne. On peut ainsi mieux mettre en commun les résultats de la recherche. Si l'on ne prend pas les précautions qui s'imposent, ce processus pourrait toutefois engendrer une réflexion uniforme peu réceptive aux idées nouvelles ou radicales en matière de gestion de longue durée.

Les spécialistes scientifiques et techniques des nations nucléaires d'avant-garde s'accordent largement à dire que le stockage permanent en formations géologiques pourrait entrer dans un mode général ou théorique de gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire. La Commission précise que, jusqu'à présent, aucun pays n'a établi le consensus social nécessaire à la construction d'une installation de stockage permanent des déchets hautement radioactifs.

Dans plusieurs pays, une bruyante et vigoureuse opposition s'est organisée contre la solution du stockage géologique profond et les conséquences de l'aménagement d'une seule installation centrale de déchets en ce qui a trait au transport. Cette résistance se greffe fréquemment sur l'opposition à l'énergie nucléaire et concourt à une certaine réévaluation de la faisabilité politique d'une telle orientation. Il apparaît de plus en plus que l'acceptation de la société sera plus difficile à obtenir que l'adhésion des milieux technoscientifiques. C'est pourquoi les gouvernements songent comme solution de rechange à un stockage provisoire de longue durée, centralisé ou non, car l'acceptation du concept de stockage permanent semble devoir être lente et laborieuse.

2.2.3 Divers modes de gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire

La Commission examinera le concept proposé par EACL dans le cadre des autres solutions de stockage des déchets de combustible nucléaire en cours de réalisation ailleurs dans le monde. . . . Dans cet examen, la Commission considérera les diverses approches pour la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire que l'on entrepose actuellement sur le site même des réacteurs. Ces approches de gestion des déchets à long terme comprennent l'entreposage à long terme où il serait possible d'intervenir en permanence par la surveillance, la récupération et des travaux de protection et aussi le transport des déchets du lieu d'entreposage à celui du stockage permanent.

Mandat

À l'annexe L, nous décrivons et résumons les divers modes de gestion des déchets de combustible nucléaire qui ont été proposés au fil des ans. Nous les mettons en parallèle sous l'angle de la faisabilité technique, des risques, des coûts et des autres avantages et inconvénients.

Un facteur clé d'acceptabilité est la faculté pour le public et les décideurs d'établir des comparaisons éclairées et de faire des choix avisés entre les possibilités raisonnables qui s'offrent. Pour faire un choix judicieux, il faut bien connaître les diverses solutions possibles avec leurs risques, leurs coûts et leurs avantages respectifs. Les principales orientations mises en lumière à l'occasion des audiences ont été le stockage permanent en formations géologiques profondes, le stockage provisoire sur le site des centrales nucléaires, le stockage provisoire de longue durée dans un dépôt central en surface ou souterrain, et enfin la transmutation.

2.3 Grandes questions et complexités

De prime abord, le mandat confié à la Commission pourrait paraître simple. Toutefois, plus ses membres et les participants l'ont approfondi, plus ils y ont discerné des subtilités et des complexités. Nous en mettons plusieurs en relief dans cette section et examinons certaines d'entre elles aux prochains chapitres.

2.3.1 Contexte sociétal

L'évaluation de la sûreté et des conséquences environnementales de tout grand projet comportera vraisemblablement des questions sociales et éthiques. C'est encore plus vrai dans le domaine nucléaire pour des raisons dont nous ferons fréquemment mention dans ce rapport. Les aspects techniques, sociaux et éthiques de la gestion des déchets de combustible nucléaire sont indissociables et doivent être considérés dans tout le contexte de la réflexion sociale contemporaine comme on l'a souvent rappelé à la Commission pendant ses audiences.

Nombreuses sont les questions éthiques de gestion à long terme qui sont encore loin d'être résolues : droits et devoirs collectifs et individuels; équité et responsabilités intergénérationnelles et intragénérationnelles; acceptabilité des normes de réglementation; conflits entre les valeurs humaines et écologiques; consultation appropriée des peuples autochtones; urgence réelle des mesures à prendre; absence d'information et de tribunes de discussion sur les divers modes possibles de gestion des déchets de combustible nucléaire et, à fortiori, sur les options énergétiques. Il faudra discuter librement de ces questions et suivre constamment l'évolution du cadre éthique pour en venir à des décisions qui se révèlent acceptables dans le cadre général de notre société.

Les priorités sociétales ont aussi leur importance, et notamment la question d'une juste répartition de ressources humaines, financières et matérielles rares entre la gestion des déchets de combustible nucléaire et les autres problèmes auxquels fait face la société. Ainsi, il en coûterait cher pour se doter d'une installation de stockage permanent, soit 10 milliards de dollars, selon les estimations, pour stocker 3,6 millions de grappes (dollars de 1995)   [John Van Den Hengel et Fred Long, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearings Transcripts, 29 mars 1996, p. 19.] et 13,3 milliards de dollars pour en stocker 10 millions (dollars de 1991). [Énergie atomique du Canada limitée, Étude d'impact sur l'environnement, p. 269. Ontario Hydro et d'autres ont fait valoir que le droit perçu auprès des abonnés pour le stockage permanent (moins d'un dixième de cent par kilowattheure ou 2 % environ du prix de l'électricité) demeure modeste et raisonnable [Ken Nash et Ken Smith, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearings Transcripts, 11 mars 1996, p. 45 et 300.

D'autres craignaient que les futurs abonnés, voire les contribuables en général se retrouvent un jour avec la facture de l'installation. Une analyse coûts-avantages pourrait aider à démontrer si une proportion acceptable des ressources est allée à la gestion des déchets de combustible nucléaire, si ce coût était raisonnable par rapport aux recettes et aux avantages que l'on tire de l'énergie nucléaire et a été équitablement réparti, et enfin si l'on a refusé des ressources dans le souci de trouver des solutions solides ou si l'on en a gaspillé à réduire les risques pour un maigre profit.

Comme en témoignent le rapport de la Commission Brundtland des Nations Unies et l'acceptation croissante du concept de développement durable, il y a une évolution des valeurs de la société qui s'est retrouvée dans une foule de communications présentées à notre Commission. On y insistait en effet sur les obligations de la génération actuelle non seulement envers soi mais aussi envers les générations à venir en ce qui a trait au bien-être de la planète Terre même, sur la nécessité de réduire la consommation et la production de déchets, sur l'importance d'une réutilisation et d'un recyclage des ressources et sur le délaissement du stockage permanent comme mode de gestion des déchets.

Enfin, la Commission a été consciente de la variation des systèmes de valeurs selon les orientations culturelles ou éthiques - ce que l'on appelle parfois les «conceptions du monde» - ce qui avait généralement pour effet d'accentuer les divergences entre les participants à l'examen. Il y avait ceux qui faisaient ressortir l'importance de la croissance économique pour l'amélioration du sort de l'humanité, qui appréciaient le milieu naturel surtout du fait de son utilité pour les humains et qui misaient sur la rationalité, les sciences et la technologie pour la solution des épineux problèmes techniques. En revanche, d'autres s'interrogeaient sur le caractère souhaitable et possible d'une incessante croissance économique faute de preuve de sa durabilité, s'accommodaient mal des points de vue anthropocentriques de l'autre groupe et faisaient moins confiance à la rationalité, à la science, à la technologie, au gouvernement et aux institutions. Peu de participants souscrivaient sans équivoque à l'une ou l'autre de ces conceptions du monde, mais les deux tendances ressortaient, indice de profonds clivages sociétaux en ce qui concerne la définition d'une gestion acceptable des déchets de combustible nucléaire.

L'accent mis par plusieurs participants sur le cadre éthique, les priorités sociales et l'évolution des valeurs de la société--dont la Commission convient entièrement de l'intérêt primordial--milite en faveur de l'adoption d'une démarche prudente et progressive de conception d'une stratégie à long terme de gestion des déchets de combustible nucléaire de sorte que des décisions irréversibles ne soient pas prises à la hâte.

La démarche d'élaboration d'un plan approprié de gestion de ces déchets doit tenir compte de notre contexte sociétal marqué par de vastes inquiétudes du public au sujet du traitement de tous les déchets toxiques et des déchets industriels persistants, par la crainte que la planification et les décisions n'échappent à son emprise, par la méfiance à l'égard des dirigeants politiques et institutionnels, par le scepticisme vis-à-vis des prévisions scientifiques reposant sur l'incertitude et par la saine suspicion que, en dernière analyse, personne ne soit tenu responsable. Ce sont là des soucis légitimes et importants qui ont nettement influé sur la façon dont la Commission a abordé son mandat.

2.3.2 Facteur de peur

Dans certains secteurs de notre société, on a peur de la technologie nucléaire et on s'en méfie profondément. Le «facteur de peur» est réel et palpable. Il tient une grande place dans les décisions en matière nucléaire, car il influera sans doute sur la confiance populaire à l'issue des démarches décisionnelles. Cette crainte tient non seulement au caractère imperceptible, mobile et durable du danger des rayonnements et à ses effets néfastes potentiels sur la santé, mais aussi au fait qu'il se trouve lié aux armes nucléaires et aux désastres du passé, nucléaires ou autres, où ont joué l'erreur humaine ou les défaillances techniques. Ce sont ces influences conjuguées qui ont amené bien des participants à manifester beaucoup d'anxiété devant des «scénarios du pire» aux conséquences terribles et persistantes indépendamment de leurs faibles probabilités. Bien que les spécialistes puissent contester ou discuter la perception du danger sans précédent que représentent les déchets de combustible nucléaire en raison de leur toxicité et de leur longévité extrêmes, cette opposition n'est pas en soi de nature à atténuer sensiblement le facteur de peur.

2.3.3 Nécessité d'un stockage permanent et choix du moment

Comme nous l'avons brièvement exposé à la section 2.1.7, EACL fait valoir qu'il faut songer dès à présent à un stockage permanent pour protéger durablement la santé humaine et le milieu naturel contre les effets préjudiciables des déchets de combustible nucléaire et pour alléger le plus possible le fardeau imposé aux générations futures. Aux yeux tant d'EACL que de la CCEA, la réalisation de ce double objectif signifie que l'on ne doit pas s'appuyer sur des contrôles institutionnels.

Plusieurs participants avaient des opinions quelque peu différentes.

. . . nous ne devons pas exiger que l'on gère les entreprises humaines en fonction d'un effondrement de la société, car on se trouve ainsi à remettre en cause la viabilité d'une industrie qui compte sur le contrôle institutionnel pour la gestion de ses risques. Une telle orientation aurait ralenti les progrès de la société comme nous la connaissons et l'aurait privée d'une foule d'avantages de la science et de la technologie.

Société d'Énergie du Nouveau-Brunswick [Société d'énergie du Nouveau-Brunswick, The Ethics of the Management of High-level Radioactive Waste (PH3Pub.225, 26 mars 1997), p. 2.]

L'Association nucléaire canadienne a appuyé le concept de stockage permanent dans le souci de réduire au minimum les charges imposées aux générations à venir et d'écarter une importante entrave au maintien de l'exploitation de l'énergie nucléaire. Elle a aussi fait valoir que les déchets devraient être récupérables aussi longtemps que la société pourrait songer à les recycler et que l'implantation fructueuse d'un dépôt de déchets ne devrait pas empêcher un stockage provisoire de longue durée en parallèle. [Murray Stewart, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 19 novembre 1996, p. 226-227 et 231-232, et Murray Stewart, Association nucléaire canadienne, communication à la commission de l'ACEE chargée d'examiner le concept de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire du Canada, audiences publiques de phase II, PH2Pub.027(a), 19 novembre 1996), p. 8.

D'autres participants se sont attaqués pour divers motifs au concept de stockage permanent d'EACL et au choix du moment. Ils ont en effet fait valoir :

  • que le recours à une technologie non éprouvée pour garantir une sûreté passive sur des milliers et des milliers d'années était moins acceptable que l'hypothèse d'un effondrement de la société et d'une perte de contrôle institutionnel;
  • que, si on laissait les déchets en surface à proximité de régions populeuses ou des sièges du gouvernement, on se trouverait à constamment rappeler leur présence aux gens, d'où l'assurance que les contrôles institutionnels ne cesseraient pas;
  • que, tant que l'on continuera à exploiter l'énergie nucléaire, les déchets les plus dangereux seront toujours stockés provisoirement en surface et que des soins constants s'imposeront non seulement pour ces déchets en stockage temporaire, mais aussi pour les centrales nucléaires;
  • qu'un stockage permanent constituerait un fardeau pour les générations futures parce que celles-ci jouiraient de possibilités restreintes de gestion des déchets, ne voudraient pas laisser l'installation sans surveillance et jugeraient coûteux et difficile de récupérer les déchets si elles le désiraient;
  • que la science était susceptible de nous fournir dans un avenir relativement prochain une solution supérieure à celle du stockage permanent passif en formations géologiques.

Devant ces contradictions, bien des participants se sont dits d'avis que le Canada ne devrait pas opter en toute hâte pour un stockage permanent, mais devrait garder ses déchets en entreposage provisoire et rechercher une meilleure solution.

2.3.4 Examen d'un concept

Le mandat de la Commission était inhabituel si on le compare à ceux de la plupart des autres commissions fédérales d'évaluation environnementale parce qu'on lui demandait d'examiner un concept plutôt qu'un projet précis à réaliser en un lieu déterminé. Comme sa proposition ne visait pas un lieu, une conception ni une collectivité en particulier, EACL a trouvé difficile de répondre avec précision aux questions détaillées (prévues dans nos lignes directrices) sur l'incidence biophysique, et plus particulièrement sur les effets socioéconomiques du projet. De plus, elle a éprouvé de la difficulté à expliquer comment ce même concept pouvait s'appliquer tout aussi efficacement à un éventail suffisamment large de sites possibles. Le public a également trouvé qu'il était malaisé d'étudier un concept, car le débat restait nécessairement abstrait, permettant à quiconque d'éviter les questions sociales complexes et controversées qui auraient dû normalement être abordées. Enfin, comme l'organisme éventuel de mise en œuvre du concept n'était pas encore nommé, personne ne pouvait donner les garanties demandées par les participants quant à la façon d'évaluer et de gérer les effets du projet dans l'avenir.

De nombreux participants sont restés confus parce que l'EIE ne faisait pas suffisamment la distinction entre le concept générique et les études de cas détaillées ayant servi à en démontrer la sûreté. Les audiences étaient déjà avancées et divers participants ignoraient encore si on leur demandait d'apprécier le concept même, l'étude de cas de l'EIE ou la seconde étude de cas présentée à l'occasion des audiences techniques. Pour d'autres, la distinction était cependant suffisamment nette.

Certains participants ont réagi avec suspicion à l'idée d'approuver un concept. Ils craignaient que, si la Commission appuyait la sûreté et l'acceptabilité du concept de stockage, ce serait là donner le «feu vert» au maintien de l'exploitation de l'énergie nucléaire. Il deviendrait en outre difficile à toute collectivité de résister à un projet d'aménagement d'une installation, de négocier des modifications du concept ou d'obtenir le plus de concessions possible avant de signifier son acceptation. Certains participants ont exprimé cette dernière crainte malgré l'assurance donnée qu'un autre cadre d'évaluation environnementale s'appliquerait à l'étape de la sélection d'un site et que le principe du volontariat accordait véritablement un droit de veto aux collectivités d'accueil possibles.

2.3.5 Prévisions à long terme

Pour encore accroître la complexité de l'évaluation d'un concept, il y avait la longévité des déchets, la permanence voulue d'un stockage définitif et donc le besoin de considérer les questions de sûreté et d'acceptabilité dans un horizon temporel de milliers d'années. Certains participants ne pouvaient imaginer une installation susceptible de durer bien plus longtemps que la période historique déjà écoulée et pouvaient encore moins prévoir son fonctionnement dans un tel laps de temps compte tenu de la faillibilité de l'être humain, des incertitudes des données, des techniques de modélisation mathématique et de l'évolution future des conditions écologiques et sociales. Pour d'autres, ces difficultés n'étaient pas insurmontables si l'on considérait l'existence d'analogues naturels de longue durée, la stabilité du Bouclier canadien à l'échelle des phénomènes géologiques et les marges de sûreté que comportaient les critères de risque de la CCEA et les résultats d'EACL. Les questions de sûreté mises à part, certains soutenaient que l'on ne peut jamais prévoir l'acceptabilité à long terme de tout concept aux yeux des générations à venir. Il reste que les prévisions à long terme ne sont pas propres au domaine de la gestion des déchets de combustible nucléaire.

2.3.6 Degré de sûreté à prévoir

On a nettement constaté que les vues variaient amplement au sujet de la définition de la sûreté et sur la question du degré de sûreté à prévoir, cette diversité étant fonction du point de vue technique et social adopté. Un des grands défis de la Commission a été de trouver un juste équilibre entre ces conceptions. La question subsistera à tout stade futur d'élaboration de stratégies de gestion des déchets de combustible nucléaire.

La question du degré de sûreté et du degré de preuve à apporter lorsqu'on évalue cette sûreté à l'étape de l'élaboration d'un avant-projet (par opposition au stade d'autorisation d'une conception particulière à un site) demeure litigieuse. Pour certains, il fallait garantir une sûreté pour ainsi dire absolue et, à l'autre extrême, d'autres faisaient valoir que la sûreté ne pouvait jamais être garantie et qu'un risque subsiste dans tout ce que nous faisons, même lorsque nous décidons de ne rien faire. La Commission a soupesé ces points de vue et bien des positions intermédiaires. D'un point de vue technique, une autre question se pose : si les débits de dose radiologique ou chimique prévus se situent bien au-dessous des valeurs de variation des concentrations naturelles, est-il rationnel de vouloir les réduire encore plus par des dépenses ou des précautions supplémentaires? D'un point de vue social, la compréhension que l'on a des questions de sûreté repose non seulement sur les données techniques, mais encore sur l'expérience acquise dans des entreprises semblables et à l'intérieur d'un contexte culturel. Il faut donc intégrer les valeurs sociales actuelles à l'évaluation de la sûreté du stockage permanent à l'étape des études conceptuelles.

2.3.7 Transprotation des déchets de combustible nucléaire

Une multitude de préoccupations ont été exprimées en matière de transport des déchets : état et sûreté des autoroutes canadiennes, notamment dans le nord; probabilités d'accidents et d'actes de terrorisme; essai et intégrité des châteaux de transport; mesures de protection civile; information et droits des collectivités à proximité des itinéraires de transport. Les auteurs de communications ont souvent relaté les événements survenus à Gorleben, en Allemagne, où il a fallu des interventions importantes des forces de l'ordre et beaucoup de temps et d'argent pour écarter les groupes d'opposition de l'itinéraire de transport des déchets de retraitement. De vives inquiétudes au sujet des moyens de transport ont fait rejeter à certains participants toute option autre qu'une gestion des déchets sur le site.

2.3.8 Questions ne relevant pas du mandat

Le mandat de la Commission exclut nettement les questions suivantes : politiques énergétiques du Canada et des provinces; rôle de l'énergie nucléaire dans ces politiques, ce qui comprend la construction, l'exploitation et la sûreté de centrales nucléaires nouvelles ou déjà en exploitation; retraitement du combustible comme politique de l'énergie; applications militaires de la technologie nucléaire. Toutefois, un certain nombre de participants jugeaient difficile de considérer la gestion des déchets de combustible nucléaire indépendamment d'une ou de plusieurs des questions que nous venons d'énumérer. D'autres trouvaient inacceptable un tel examen distinct et un troisième groupe n'y voyait aucune difficulté.

À l'annonce de la présente évaluation environnementale, les ministres se sont engagés au nom du gouvernement à mener un examen parallèle dans une tribune différente, ce qui permettrait de mettre la question des déchets de combustible nucléaire dans une perspective plus générale. Malgré les lettres que le président de la Commission a adressées à plusieurs reprises à ces mêmes ministres pour leur rappeler l'importance de cet exercice parallèle, l'engagement n'a pas été tenu.

Voici d'autres questions fréquemment soulevées dans le cadre de l'examen : nécessité d'adopter les politiques concernant le maintien ou l'élimination progressive de l'énergie nucléaire, importation de déchets radioactifs en vue de leur stockage permanent commercial et importation de combustible à mélange d'oxydes (MOX) renfermant du plutonium provenant d'armes nucléaires. On trouvera au chapitre 7 d'autres remarques sur ces questions.

2.3.9 Conséquences des examens et des décisions de passé

Il est peut-être vrai que lorsque le rapport Hare a été déposé en 1977, le public ne voyait pas d'un mauvais œil la solution du stockage permanent, de préférence en région éloignée. Toutefois, M. Hare et ses collègues ont recommandé que, avant que leur proposition ne devienne une politique de l'État, elle fasse l'objet d'un vaste débat public et reçoive un solide appui du public.  [F.K. Hare et autres, La gestion des déchets nucléaires du Canada, p. 58. Ce large débat n'a pas eu lieu.

Stella Swanson : Je vous demande donc si, à votre avis, le grand débat public que vous avez préconisé en 1977 a bel et bien eu lieu?

F. Kenneth Hare : Je ne crois pas. Je ne suis pas sûr que la chose soit possible. . . Mais de ne pas l'entreprendre ou de ne rien tenter demeure -- et j'emploierai un mot qui est passé de mode -- immoral à mes yeux.

Transcription des audiences publiques  [Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 20 juin 1996, p. 68-69.]

Vingt ans après, nombreux sont les participants à l'examen actuel qui ont demandé une analyse comparative des risques, des coûts et des avantages de toutes les possibilités qui s'offrent en matière de gestion des déchets ou, sur un plan encore plus général, en matière de production d'électricité. Les limites de notre mandat et de l'information mise à notre disposition nous ont empêchés de répondre à ce désir. On a évoqué à plusieurs reprises la possibilité qu'un stockage provisoire de longue durée - avec faculté de surveiller et de récupérer les déchets et d'intégrer de nouvelles techniques -- constitue une meilleure solution qu'un stockage permanent en formations géologiques, même si cela devait vouloir dire que l'on garderait les déchets indéfiniment là où ils se trouvent actuellement ou à proximité.

2.4 Participation et points de vue des peuples autochtones

La Commission s'est particulièrement intéressée à la participation et aux points de vue des peuples autochtones. C'était là un élément primordial du cadre où elle s'est efforcée d'accomplir son mandat.

À l'occasion d'un atelier spécial tenu dans le cadre des réunions de détermination de l'importance des problèmes, des audiences publiques normales et des séances organisées dans trois réserves du Bouclier canadien, elle a entendu des déclarations fermes et souvent émouvantes de participants autochtones. Les personnes qui se sont exprimées devant elle étaient des enfants d'âge scolaire, des hommes et des femmes ordinaires, des aînés, des chefs ou encore le grand chef de l'Assemblée des premières nations. Bien des propos qu'ils ont tenus devant nous au sujet du concept d'EACL et du problème plus général de la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire ressemblaient fort aux déclarations des participants non autochtones. Ils avaient néanmoins des messages particuliers à nous livrer.

Presque tout le Bouclier canadien est habité, revendiqué ou exploité à des fins traditionnelles (chasse, pêche, piégeage et cueillette) par les peuples autochtones. Si une installation de stockage provisoire ou permanent était implantée dans la Bouclier, l'installation elle-même ou le transport des déchets de combustible nucléaire et de matériaux de construction nuiraient aux populations autochtones. D'autres projets économiques et industriels réalisés dans les régions septentrionales de notre pays ont eu des répercussions semblables sur les modes de vie traditionnels.

Les autochtones ne sont pas un élément homogène du public canadien. Comme on dénombre 580 bandes indiennes (127 bandes des premières nations sur le seul territoire ontarien), une abondance de collectivités inuit et métisses et 53 langues indigènes parlées, la diversité culturelle autochtone est extrême et comporte aussi une diversité de conceptions de la gestion des déchets de combustible nucléaire. Il est toutefois possible, croyons-nous, de résumer ainsi les principaux messages que nous ont présentés les participants autochtones tout au long de l'examen :

  • Ni le promoteur ni la Commission n'ont consulté les populations autochtones en tout respect de leur culture, de leurs langues et de leurs habitudes de consultation. On devra pourtant le faire si l'on espère une participation efficace des autochtones à la solution du problème des déchets de combustible nucléaire.
  • On n'a accordé aux peuples autochtones ni le temps ni l'occasion d'étudier et de comprendre, dans leurs propres langues et à leur façon à eux, les propositions de stockage permanent des déchets en formations géologiques profondes. Selon la compréhension qu'ils avaient jusque là de la question, de nombreux participants ont senti que le concept allait nettement à l'encontre de leurs convictions profondes quant au lien de l'humanité avec notre mère la Terre et à ses responsabilités envers elle, et quant à la responsabilité qu'ils doivent assumer à l'égard du bien-être des sept prochaines générations traditionnelles.
  • La plupart des participants autochtones n'ont pas une grande confiance dans les propositions technoscientifiques actuelles de gestion des déchets de combustible nucléaire en toute sûreté, en partie parce que ces propositions ne tenaient pas compte des connaissances ancestrales.
  • On doutait franchement que les principes du volontariat et du droit communautaire de refuser une installation vaudraient pour les populations autochtones. Les mécanismes de prise de décision proposés ne cadraient pas avec leurs traditions ni avec leur culture et ne correspondaient pas à la conception de la collectivité que cultivent les autochtones. Leurs suspicions en la matière étaient avivées par tout un passé de promesses non tenues et d'ententes violées dans leurs rapports avec les non-autochtones et les gouvernements.
  • Les peuples autochtones n'avaient pas eu leur part de la prospérité économique des autres Canadiens et, à leur avis, on ne pouvait pas les contraindre à accepter les déchets de l'économie industrialisée. Ils doutaient de pouvoir tirer de gros avantages de l'acceptation d'une installation de stockage.

Le mécontentement et la frustration des participants autochtones peuvent se résumer dans la demande faite encore plus instamment le dernier jour de nos audiences que l'on arrête tout l'examen et qu'on leur accorde le temps et les ressources pour mener leurs propres consultations avec les leurs avant que la Commission ne livre ses recommandations aux gouvernements.

. . . nous aimerions participer à ces audiences et établir un cadre parallèle avant que les recommandations définitives ne soient présentées. Nous aimerions aussi qu'on nous donne le temps et les ressources pour pouvoir mettre en place avec nos dirigeants. . . un mécanisme permettant d'examiner directement les recommandations qui se dégagent de ces audiences et d'en venir parallèlement à nos propres recommandations.

Lyle Morrisseau, première nation Sagkeeng [Lyle Morrisseau, dans Nuclear Fuel Waste Environmental Assessment Panel Public Hearing Transcripts, 27 mars 1997, p. 72-73.]

La Commission estime qu'il serait préférable qu'elle appuie fermement un processus entièrement participatif de consultation des autochtones, conçu par eux-mêmes, dans le cadre des prochaines étapes recommandées dans le présent rapport que de tarder à déposer ce rapport afin de permettre dès à présent la tenue des consultations nécessaires.

2.5 Établissement du cadre où se situe le problèm

Nous avons exposé les complexités auxquelles se sont heurtés les participants et la Commission dans cet examen, qu'il s'agisse de notre propre mandat ou du contexte sociétal où doit s'inscrire la gestion des déchets de combustible nucléaire. Nous espérons ainsi contribuer à susciter une meilleure compréhension du reste de notre rapport et de ses recommandations. C'est avec cette toile de fond à l'esprit que nous avons entrepris de répondre à deux questions fondamentales dans le cadre de l'examen :

  • Le concept d'EACL est-il une solution sûre et acceptable au problème de la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire au Canada?
  • Quelles sont les mesures à prendre?

Par sûreté, la Commission entend le respect global des critères de sûreté arrêtés sous un angle à la fois technique et social. Par ailleurs, il y aura acceptabilité à ses yeux si les membres de la société conviennent à l'unanimité que les mesures proposées sont les meilleures compte tenu des vues éthiques, sociales, techniques et économiques qui existent.